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Domaine français L’insaisissable

janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42 | par Marc Blanchet

La réédition des livres de Michel Fardoulis-Lagrange tient de ces révélations littéraires qui font sortir une œuvre de la confidentialité et imposent une écriture superbe de vertige et d’originalité.

Les Caryatides et l’Albinos

De la solitude propre à la création littéraire, Michel Fardoulis-Lagrange a très tôt éprouvé l’existence, à la fois comme la chance pour atteindre une authentique intériorité et la douleur de ne pas rencontrer une reconnaissance de son vivant. Son écriture ne s’est faite pas l’écho de ce déchirement mais s’est nourrie de cet isolement où les masques empruntés par l’écrivain sont autant de tentatives pour présenter un vrai visage du monde. Un autre paradoxe est à souligner pour ces œuvres où la prose côtoie la poésie jusqu’à l’éblouissement : c’est justement leur extrême lisibilité, leur fluidité, leur grâce, au service des perceptions et des sensations les plus impalpables comme les plus incontrôlables. Comment parler de ces récits, textes, proses échappant à la définition habituelle d’une « histoire », même si un phénomène perceptible de narration est en cours dès les premières lignes ? Sommes-nous en présence, comme à l’intérieur, de l’esprit humain dans ses correspondances secrètes, immédiates, inconscientes ? Nos repères sont cependant d’ordre tactile, visible et sensuel. Nous entrons dans un univers d’une intériorité forte, comme la réédition des Caryatides et l’Albinos, où nous pouvons nous situer dans la ville d’Aix-en-Provence, arpenter des rues, suivre, entendre, sentir parler en soi un narrateur, qui nous confie -ce ton délicat, réservé, attentif semble bien être celui de la confidence- une découverte : les caryatides ne sont pas spécialement des statues féminines comme il l’a toujours pensé.
Voici les premiers éléments dans lesquels la prose immisce sa sensualité, en des phrases enveloppantes, d’une tranquillité analytique troublante, procédant par glissements, mêlant méditations et visions. Nous sommes soudain en présence d’un lieu dont l’ampleur s’augmente par l’apparition d’une figure tutélaire : une albinos, qui -c’est là le lien de Fardoulis-Lagrange avec le surréalisme- devient le lieu de gravité autour duquel va tourner la narration. Cette prose s’affirme dès lors comme une écriture de la fascination -et non de l’obsession. Mais revenons, avant de nous laisser emporter dans ce vertige, à quelques données biographiques. Pour apprécier le génie de cette écriture où la sensualité naît de la dissection des choses, il est besoin de saisir le passage si discret et fugitif, en un mot : clandestin, de Fardoulis-Lagrange dans la littérature.
Né en 1910 au Caire dans une famille grecque, Michel Fardoulis-Lagrange a publié des nouvelles dès 16 ans, puis installé à Paris en 1929 a connu la pauvreté tout en continuant d’écrire. En 1938, il rencontre sa compagne Francine puis publie un de ses premiers livres importants en 1941 : Sébastien, l’enfant et l’orange. En 1945, il crée la revue Troisième convoi (reprise en fac-similé par les éditions Farrago), poursuivant une œuvre dont la confidentialité est étonnamment rare, malgré l’admiration de Bataille, Lambrichs ou Leiris. Il décède à Paris en 1994. Il laisse une œuvre éparpillée chez différents éditeurs, reprise depuis quelques années par les éditions Corti.
Qu’on ne s’y trompe pas : Michel Fardoulis-Lagrange est un nom qui commence à s’imposer dans l’histoire littéraire française. Un nom qui provoque l’enthousiasme et aussi un certain silence critique : comment parler d’une œuvre qui a su exprimer l’indicible ? Si on peut admirer un auteur qui sait nous porter dans des paysages mentaux inédits, on peut éprouver aussi une gêne, doublée d’un mutisme, devant ce déploiement, cette narration proprement inouïe. La publication dans la collection « Les inédits de Doucet » des Hauts Faits permet de mesurer autrement comment Fardoulis-Lagrange joue avec la narration, en imposant personnages, lieux et situations mais en opérant un décalage savant comme on dit qu’il existe une musique savante.
Les Hauts Faits
raconte une journée d’un couple occupé par un déménagement. Ni plus ni moins. Ensuite, nous percevons progressivement comment le souffle d’une tragédie antique parcourt ces pages, un souffle qui procède d’une nostalgie mais n’oublie pas cette autre tragédie qui fonde notre temps : une intériorité violente, défaite de la morale et de l’obligation, et qui fait échouer la raison sur les plages de l’incompréhension. Michel Fardoulis-Lagrange exprime ces passages du descriptible à l’intime dans une prose où le jeu des êtres, le « jeu d’être », est le seul jeu possible, et sûrement la seule entrée dans le Réel. Ainsi cet extrait des Caryatides et l’Albinos : « Que le silence s’impose alors pour que nous progressions dans cette voie, nul doute. Nous traversons les phrases les plus compliquées de notre jeu. La lenteur avec laquelle évoluent les feuilles des arbres est un moyen aussi pour s’instruire du modèle idéal qu’elles atteindront. De même les pierres sont souvent soucieuses d’un ordre d’édification semblable au nôtre. (…) Toutes sortes de préparatifs s’annoncent et s’achèvent à proximité du couple que nous formons l’albinos et moi. Légère tache dans la lumière, ce couple tend à matérialiser l’angle sous lequel nous vivons. Où que nous posions le regard, il y a réciprocité, une grande famille solidaire de son temps primitif. Mais à ce moment-là, plutôt qu’un sentiment de surcharge, d’écrasement sous la multitude des détails qui se dessinent et répondent à la connaissance absolue que nous désirons, nous nous proposons, pris de vertige, des fins encore plus éloignées… »
Ce long passage ne peut que prouver que la lecture des livres de Fardoulis-Lagrange est une expérience nécessaire pour quiconque veut aller à la rencontre d’une écriture qui sut dépasser les limites habituelles de la narration pour porter ses pas dans l’incarnation d’un songe ouvert sur la réalité la plus immédiate.

Michel Fardoulis-Lagrange
Les Caryatides et l’Albinos
José Corti
94 pages, 12,50
Les Hauts Faits
Gallimard
230 pages, 19,90

L’insaisissable Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°42 , janvier 2003.
LMDA PDF n°42
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