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Domaine étranger Terminus

janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42 | par Eric Naulleau

Fermeture pour cause de décès d’une œuvre majeure. L’écrivain allemand W. G. Sebald clôt avec Austerlitz son inventaire d’une vie dans le terrible vingtième siècle.

Le Cinéma mental

Il faudrait pouvoir parler de ce livre comme si de rien n’était, pour son seul contenu, pour ses seules qualités, mais nul n’ignore que W.G. Sebald, né en 1944, a prématurément disparu fin 2001. Et certaines descriptions du héros de son ultime roman en viennent tout naturellement à évoquer des autoportraits envoyés depuis l’au-delà : « J’ai d’emblée été étonné de la façon dont Austerlitz élaborait ses pensées en parlant, de voir comment à partir d’éléments en quelque sorte épars il parvenait à développer les phrases les plus équilibrées, comment, en transmettant oralement ses savoirs, il développait pas à pas une sorte de métaphysique de l’histoire et redonnait vie à la matière du souvenir. » À l’« oralement » près, on ne saurait mieux définir l’art si particulier du plus anglais des écrivains allemands, son écriture qui progresse tout en sinuosités et méandres sans jamais se perdre en route -il convient ici de souligner la remarquable traduction de Patrick Charbonneau- et brasse la plus effarante érudition avec le relevé des émotions les plus dévastatrices. Une visite de la forteresse belge de Breendonk, au début du présent livre, se transforme ainsi en un tourbillon d’aperçus sur l’inutilité proportionnelle à sa taille de toute construction humaine, de considérations sur ces correspondances qui ouvrent « la porte derrière laquelle sont enfouies les terreurs de la petite enfance », de précisions sur les atroces tortures pratiquées en ce lieu par les nazis, sans oublier l’étrange destinée d’une victime de ces derniers, un certain Gaston Novelli, réfugié dans une tribu de la forêt vierge brésilienne : « Il avait adopté leurs us et coutumes et établi autant que possible un dictionnaire de leur langue, composée presque exclusivement de voyelles, principalement le son A prononcé et accentué selon des variations infinies… »
En une petite dizaine de pages se trouvent ainsi épurés et résumés tous les principaux thèmes des trois livres précédents : le gai savoir ambulant et déambulant des Anneaux de Saturne (1999), l’intime sentiment de perdition des Vertiges (2001) et ces singulières paraboles avec quoi se confondent les trajectoires existentielles des Émigrants (1999). Grande, très grande littérature, qui laisse le lecteur quelque peu sonné d’admiration : si classer Sebald parmi les autofictionnaires, ainsi que le fait Maurice Nadeau, paraît recevable, il faut croire que nous ne connaissions jusqu’alors que les Trabant de ce genre à la mode et qu’il nous est aujourd’hui donné d’embarquer à bord d’une Rolls Royce.
Austerlitz se déploie en deux temps très distincts : une reconstitution précise jusqu’à en devenir angoissante de la sinistrissime enfance galloise du personnage principal, qui se nomme encore Dafydd Elias, première partie sur laquelle planent avec insistance les ombres mêlées de Kafka et de Dickens, puis la quête de ses origines par celui qui est redevenu Jacques Austerlitz, jusque dans une famille juive de Prague victime comme tant d’autres de la barbarie hitlérienne. Entre ces deux panneaux du diptyque, une charnière magique, une prodigieuse épiphanie qui survient très précisément à la page 161, lorsque Jacques Austerlitz franchit une porte basse dans la gare de Liverpool Street et retrouve la trace de son passé refoulé : « Je me souvins de moi, en cet instant je compris que c’était par cette salle d’attente que je devais être arrivé en Angleterre, plus d’un demi-siècle auparavant. » Scène époustouflante, prélude à un pèlerinage aux allures de passionnante enquête policière jusque sur le seuil du temps retrouvé : « Je suis ainsi resté un long moment devant l’entrée d’une maison, dit Austerlitz, à regarder au-dessus de la clé du porche un relief inséré dans le crépi lisse, pas plus grand qu’un pied carré. Sur fond étoilé vert lagon, il représentait un chien de couleur bleue tenant un rameau dans sa gueule, et ce chien, comme je l’appréhendais, puisque j’en avais frissonné jusqu’à la racine des cheveux, je venais à l’instant de le remonter de mon passé. »
Après ce douloureux et merveilleux périple dans le pays magique rêvé par Proust, Hardellet ou le George du Maurier de Peter Ibbetson, il faut boucler la boucle : retour dans la forteresse de Breendonk où un troublant graffiti, cité à la dernière page d’Austerlitz, donne la date de naissance de W.G. Sebald : « 18. 5. 44. » La chair n’est pas si triste, mais nous avons désormais lu tous ses livres.

Terminus Par Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°42 , janvier 2003.