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Zoom Au pays des contes défaits

janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42 | par Catherine Dupérou

La Vanité des somnambules

Propulsée sur le devant de la scène avec Le Cri du sablier, Chloé Delaume publie son troisième livre. Et nous ouvre les portes de « sa petite cuisine » : son laboratoire de langue.

« Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. J’ai investi le corps que je fais mien un vendredi poisseux de 1999 ».
Le troisième livre de Chloé Delaume annonce d’emblée la couleur. Nous sommes bien ici en littérature. Amateurs de témoignages sensationnalistes s’abstenir. Ici la langue a pris possession du lieu de l’écriture. Deux voix croisent le fer de leurs stylets, celle du parasite, et celle de ce corps investi, infesté de « narrations hirsutes ». Comme toujours chez Chloé Delaume, la trame romanesque est le support de tentatives et d’expérimentations. Comme toujours, elle a tendance à « soutenir la langue pour la langue, le fond n’est pas si important ».
Chez Chloé Delaume, les murs blancs jouent avec la couleur des meubles design. Le plexiglas des chaises mauves se joue de la lumière hivernale. Tout est calme, Temesta le chat fait une sieste lové dans le fauteuil absinthe. Entre deux gorgées de boisson gazeuse et trois bouffées de cigarettes, Chloé Delaume parle. De son travail d’écriture, de ses performances qui l’ont emmenée aux États-Unis avec Richard Pinhas. Ce musicien expérimental qui, dans ses Schizospheric Experience mixe la voix de Deleuze et les textes de son complice, l’écrivain Maurice G. Dantec. Chloé Delaume parle et semble faire commencer sa vraie vie à la parution de ses livres.
Son premier texte, Les Moufflettes d’Atropos, elle l’a écrit à partir de fragments. « Ce livre, je l’ai plus vomi, craché, que les autres, dit-elle. Je l’ai écrit entre Montpellier et Paris, dans les bars où je travaillais alors. C’était une sorte d’occupation conjuratoire pour consigner ce qui se passait. Et occuper les plages de vide. Ça m’a aussi permis de faire émerger, petit à petit, un style qui s’est affirmé avec Le Cri du sablier. » Des extraits paraissent dans des revues comme Evidenz ou Lignes. Le texte fini, elle le donne à lire à Michel Surya qui lui conseille de l’envoyer chez Farrago. Le livre est publié en septembre 2000. Mais c’est avec son deuxième roman, Le Cri du sablier, qu’une vie nouvelle commence. Paru en septembre 2001, il obtient le prix Décembre, avec l’appui d’une voix de marque, Jeanne Moreau. Ça a le goût et la couleur d’un conte de fées, et c’est presque un conte de fées. Hébergée chez une amie, Chloé Delaume reprend sa liberté et va « pouvoir enfin se consacrer à l’écriture sans avoir à accumuler les boulots alimentaires ». La confiance en son propre travail s’installe, et « la joie de se dire que ça va permettre à la petite édition d’exister un peu plus que d’ordinaire, et à un lectorat lambda de voir qu’il se passe des choses ailleurs que dans les grosses écuries ».
Dans ses livres, Chloé Delaume se sert d’un matériau vécu traumatique, les « mésaventures » d’une petite fille qui voit son père tuer sa mère et grandit dans un monde chaotique dominé par la violence des hommes. Et même si le vrai sujet c’est « la réappropriation de l’expérience par le verbe », si elle « contrecarre le pathos par des blagues », avec pudeur et sans complaisance, le malentendu n’est jamais loin. L’ambiguïté sur son travail, Chloé Delaume l’a éprouvée lors de ses lectures post-prix. « Le lectorat de mes livres était d’abord des garçons de 25-30 ans, versés dans les bidouillages verbaux. Avec la médiatisation, le lectorat s’est élargi, s’est féminisé et lorsque les ventes du livre sont devenues complètement anormales, jusqu’à 10000 exemplaires vendus, les choses se sont compliquées. » Le livre est pris comme un témoignage par une frange de lectrices à l’empathie débordante. Le joli conte commencerait-il à se défaire ? Chloé Delaume se dit qu’elle va « travailler différemment la prochaine fois et le malentendu n’arrivera plus ». Mais serait-ce aussi simple ?
Dans La Vanité des somnambules, le je est un autre, on descend dans le monde organique des personnages de fictions. Ils sont « la voix primale » puisque « de toujours la fiction précéda la réalité ». L’on y retrouve un style singulier où l’abrupt et le musical côtoient la cruauté et l’humour. Cet « umour » si cher à Jacques Vaché. L’on ne s’étonnera pas que Chloé Delaume ait aussi beaucoup fréquenté Jarry. Et compte parmi ses auteurs fétiches « Queneau, Roussel, Salvayre, Guyotat et Surya ». Mais « pour les Somnambules, j’ai fait exprès de me fermer des portes. Je suis dans la phase finale de mon travail sur l’autofiction. Je sais que c’est une aporie en soi et à terme une impasse. Je n’ai plus le droit de continuer dans cette voie. Si je me plante ce n’est pas grave. Au pire on dira que c’est un mauvais livre. L’essentiel pour moi c’est d’expérimenter, qu’il y ait une tentative de laboratoire. »
Car loin des romans formatés, les livres de Chloé Delaume biffent l’anecdote, touillent avec allant dans le vivier des mots et inventent un langage. Elle parle de son travail comme d’une « petite cuisine ». Elle dit : « J’aime qu’il y ait ce que j’appelle du joli. Un côté colifichet, qui n’apporte rien en soi mais qui est esthétique. Comme quand ça fait des bouillonnements sympathiques dans la casserole. C’est de l’ordre du musical. Avec Le Cri du Sablier, la structure en alexandrins facilitait la chose. Dans La Vanité des somnambules, ça tend plus vers l’orgue de barbarie. Quand par moment ça déraille, ça crisse. Il faut que ça coince, il faut malmener la langue. C’est pour son bien ! »
Chloé Delaume dit n’avoir « aucun rapport au sublime, à la notion d’œuvre, à cette sorte d’aboutissement. C’est la notion d’expérimentation qui est plaisante à pratiquer. Quand je fais mes copier/coller avec des chansons populaires ou des passages d’ouvrages que je trouve la nuit sur internet, ça crée une friture, comme ces musiques de fond qui vrillent la cervelle. J’aime aussi l’idée d’utiliser de la sous-culture dans un livre de facture plutôt exigeante ».
En ce moment, Chloé Delaume écrit une pièce de théâtre, « ça se passe dans un cerveau atteint d’une tumeur et les personnages sont des voix. C’est le thème de la conscience fragmentée couplé à l’histoire d’Ulrike Meinhof, cofondatrice de la fraction Armée Rouge et symbole de la tumeur sociale ». Et finit son livre sur les Sims, dernier volet de son grand jeu sur le je. Avec la curiosité enthousiaste d’une jeune exploratrice.

La Vanité
des somnanbules

Chloé Delaume
Farrago/Léo Scheer
147 pages, 14

Au pays des contes défaits Par Catherine Dupérou
Le Matricule des Anges n°42 , janvier 2003.