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Domaine étranger Le chasseur d’images

mars 2003 | Le Matricule des Anges n°43 | par Benoît Broyart

Avec la précision du photographe, l’Américain Denis Johnson propose une visite guidée de l’enfer en trois volumes : deux romans et un recueil de reportages. Misère et violence de la réalité.

L’enfer, ou la réalité, ce qui est sensiblement la même chose pour Denis Johnson, voilà ce qui lie indissociablement les trois ouvrages de l’écrivain américain paraissant aujourd’hui simultanément. « - Ce n’est pas l’Enfer. Tout ceci est parfaitement réel. - Si ce n’était pas réel, ce ne serait pas l’Enfer. » ; « Je désirais connaître, dis-je, les dimensions exactes de l’enfer. »
Les éditions Christian Bourgois pratiquent parfois le tir groupé quand il s’agit de littérature étrangère. Une façon, sans doute, d’occuper plus de place au même moment sur les tables des libraires, mais aussi, dans le cas de Denis Johnson, de proposer au lecteur un triptyque parfaitement cohérent. Des anges est le premier roman de l’auteur né en 1949 (paru en 1983 aux États-Unis) ; Des étoiles à midi (paru en 1986 aux États-Unis) emprunte une grande partie de son climat à l’expérience de journaliste de l’auteur ; Pistes, sous-titré « Reportages aux marges des États-Unis et d’ailleurs » propose une série d’articles réalisés par Johnson dans les années 90 et réécrits à l’occasion d’un rassemblement en recueil. Ces trois livres permettent de balayer le talent éclectique de l’auteur, on passe en effet du roman au reportage et de la fiction pure à la réalité. On sort d’une telle expérience avec un sentiment de confusion, ne sachant plus très bien si le recueil de reportages ne s’est pas transformé en recueil de nouvelles pendant la lecture, ou si finalement, la réalité sordide décrite dans Des anges ne porte pas en elle davantage de vérité que le climat oppressant des Étoiles de midi, nourri pourtant par l’expérience de journaliste de Johnson. L’écrivain sait jouer avec les frontières et son œuvre tire originalité et vérité d’une telle faculté.
Dans Des anges, on suit l’évolution d’un couple déglingué, cassé par un quotidien misérable. Jamie, qui traîne ses deux enfants avec elle, rencontre Bill dans un car en route pour la Pennsylvanie. Alcool, amphétamines, toute substance permettant de modifier la perception de la réalité s’offre comme une parenthèse qui soulage ou enfonce un peu plus profond. C’est un roman taillé dans le vif, absolument noir, un texte où les hommes ne parviennent pas à marcher. Johnson met en place un récit sensationnel. C’est le ressenti des personnages et leur plongée progressive hors de la réalité qui dynamise/dynamite le récit : « Son ventre était continuellement tordu et il était bien rare qu’elle parvînt au réel état des choses assez longtemps pour se rendre compte que c’était la peur, une terreur pure, extrême, engendrée par ses pensées, qui s’emparait de ses entrailles et les écrasait jusqu’à la nausée. » On pourrait dire de Johnson qu’il pratique un roman physique, palpable presque. Aucune psychologie ici mais bien des corps se débattant, essayant de sortir du trou. Des étoiles à midi se déroule dans le Nicaragua de 1984, durant la révolution sandiniste. Le climat y est étouffant et moite -« L’air épaississait, si l’on peut qualifier ’d’air’ un garrot de diesel et de poussière grasse… »-et Johnson y chasse toujours la sensation, s’attachant à décrire avec minutie la perception des personnages. Comment se sent-on en enfer ou plutôt comment sent-on l’enfer ? « Comme je l’ai dit, je vivais dans la salle de bains, où tout semblait gélatineux et pulsatile, non pas à cause d’un délire qui avait disparu, mais suite à mon épuisement. »
Les personnages de Denis Johnson n’ont pas de passé car ils ont déjà assez à faire avec le présent. Où s’il leur en reste quelques bribes, ils préféreraient l’oublier. Dans Des anges, les deux enfants de Jamie (un bébé et une petite fille) sont des êtres qu’on pose ici ou là avant d’y renoncer, comme les traces encombrantes d’une vie précédente, comme de mauvais souvenirs. On les traîne toujours, parfois avec un attendrissement pathétique, mais ils restent finalement au-dehors. Ce rapport aigu au présent accentue encore la détresse qui habille les textes de Johnson et la solitude des personnages qui les habitent. Il n’y a pas de salut puisque chaque corps est fermé sur lui-même.
Ce qui frappe également, c’est cette volonté de l’auteur de ne jamais analyser, de préférer livrer des images brutes. Johnson traque en effet l’immédiateté avec l’œil du photographe. Il s’agit d’observer, de rendre compte, et les images suffisent lorsqu’elles sont capturées sous le bon angle. « Naturellement, en ma qualité de prisonnière observatrice, je dois les regarder. L’un des raffinements de ma punition veut que j’apprécie à leur juste valeur les fesses maigrichonnes du gamin et les stries de poussière aux endroits où son urine a séché le long de sa cuisse gauche sous son petit pénis non circoncis, semblable à une carotte, et la conformation des chevilles de sa sœur aînée, qui semblent exclusivement conçues pour la position accroupie au ras du sol, dans un état de malheur dont elle n’a aucunement conscience. » L’écrivain américain tire de son expérience de journaliste une volonté de trouver l’image la plus juste. Son art en devient très descriptif. Même les reportages de Pistes affichent cette volonté de ne pas expliquer mais d’être là, présent pour exposer la violence et l’horreur de la guerre par exemple, au Libéria ou en Somalie. Ou en Afghanistan, où Johnson s’attache à montrer le désarroi des animaux du zoo de Kaboul confrontés aux combats. Les images qu’il en tire sont toujours terrifiantes : « Pendant dix jours, l’éléphant a tourné en rond sans s’arrêter de barrir jusqu’à ce que des éclats d’obus le renversent et le tuent. »

Denis Johnson

Des anges

Traduit de l’américain
par Jean-Pierre Carasso
Des étoiles à midi
Traduit de l’américain
par Brice Matthieussent
Pistes
Traduit de l’américain par Pierre Furlan
264, 266 et 336 pages ; 15, 21 et 25
Christian Bourgois

Le chasseur d’images Par Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°43 , mars 2003.
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