Nous sommes dans les vestiaires d’une équipe de foot (qui ressemble au FC Nantes Atlantique) lors d’une finale européenne. La prolongation va se jouer, qu’il s’agit de ne pas rater. L’entraîneur harangue ses troupes. Son credo : il faut jouer juste. Mais qu’est-ce qu’être « juste » ? François Bégaudeau, en prenant la voix d’un entraîneur absolutiste livre un monologue déjanté que le récit de la vie sentimentale du technicien des surfaces de réparation finit par envahir. Notre homme parle en une hémorragie de mots très éloignés du lexique des footeux. Enfermé dans son désir d’une pureté mystique (« selon nous l’infini est dans la passe »), l’homme a érigé ses principes comme devant un tableau noir : la justesse est une philosophie de l’existence, une morale à laquelle il faut se tenir coûte que coûte. Cela lui a valu de perdre sa compagne en une histoire qu’il raconte à ses joueurs. S’élevant bien au-dessus de la vulgarité des sentiments (avec Julie ou avec ses footballeurs), notre Coco géométrise et conceptualise la morale de vivre. À ses partenaires, il dit d’Éric (Carrière ?) qu’il « n’est pas un individu, c’est un lieu, c’est un point de l’espace d’où se sont absentés les chefs et où souffle l’esprit de tous en tant que tous. »…
Ce premier essai réussi s’inscrit dans une vraie tendance aujourd’hui de la littérature. Celle qui donne à entendre des voix schizophrènes dont la logorrhée déroule le fil de la confusion. C’est réjouissant comme un bon match amical. Manque juste un peu plus d’enjeu : que l’écrivain abandonne ses jongleries et mouille un peu plus le maillot.
Jouer juste de François Bégaudeau
Verticales - 92 pages, 14, 50 €
Domaine français La défaite en parlant
septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46
| par
Thierry Guichard
Un livre
La défaite en parlant
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°46
, septembre 2003.