La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

L'Anachronique Louise

octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47 | par Éric Holder

J’avais accoutumé d’aller chez Louise souvent, du temps qu’elle habitait à Montmirail, dans la Marne. Les pentes qui nous séparaient formaient un voyage à bicyclette, un prétexte pour rentrer tard la nuit, sans loupiote, et la matière de rêveries qu’elle m’aura en quelque sorte apprises, n’ayant de cesse, depuis, que de rechercher leurs vaines sœurs de façon inopinée. Car cela ne tient à rien, ou alors, à si peu de choses, telle prairie, un éclat de soleil, une sauterelle. On lit cela dans André Dhôtel. Des années plus tard, j’ai pris la moto pour lui rendre visite sur les plateaux qui sont au-dessus de Barjols, vers Fox-Amphoux, dans le Var. Louise, qui n’a jamais eu d’argent, en a touché un peu à la fin de sa journée, a acheté une maison, voilà bien une offrande dont vivre, nous apprend Dhôtel, est au bout du compte prodigue.
Elle en a bavé durant l’existence. De petite taille, et les mains fines, elle a construit la plomberie dans les endroits où les gros doigts, les devis des professionnels rechignaient à fournir. Des chantiers de copains. Toute seule, une fille à élever, elle allumait ses roulées au feu du chalumeau et jurait, mais avec la diction claire de Neuilly, au-dessus des collets battus récalcitrants. Il semblerait qu’au fond, les passions qui continuent de l’alimenter aient été l’amitié, et la lecture. Louise lit comme le reste, eh bien, ce serait du temps perdu. Elle a raison. Notre vie est un songe.
À deux kilomètres d’un village petit et haut de murs, un sentier à peine carrossable traversait la lande, aboutissant à ce qui, de loin, ressemblait à un chien niché dans les jambes de son maître, une bâtisse marron d’avoir chaud, flanquée dans l’ombre d’un arbre immense, un cèdre. Le chemin s’achevait en séparant le potager d’une terrasse, peut-être le mot est-il trop fort pour désigner l’espace où l’on déchargeait un tonneau, où l’on enlevait la terre des outils, et nanti d’un auvent. Là, il devenait d’une extrême douceur sous la plante des pieds nus, comme calculé exprès, ses bosses aplanies jusqu’à ne plus former qu’un tapis, lequel, on le sait chez les Persans, ne peut être éprouvé qu’en ôtant ses chaussettes.
Des boîtes, des sortes de mini-étagères ajourées ou non, de toutes sortes, et telles qu’on en trouve parfois sur des brocantes, constellent la pièce principale, la cuisine. Sous verre, un dessin de presse montre un homme défilant seul dans la campagne et portant au-dessus de lui sa revendication : NON. Comme je m’étonne de la présence de graviers dans une sorte de jardinet attenant, Louise m’explique que cela tient la rosace des fleurs au frais, des bisannuelles qui se ressèment à leur gré. Il y a déplacement des populations ondoyantes. Cette fois, les delphiniums occupaient le front.
Le soleil se couchait rouge au-dessus de l’horizon de maquis, il avait tapé dur toute la journée. Sous le cèdre, encore plus enfoncées dans son ombre que la maison, une table, trois chaises ramenaient à un autre coin de paradis, plus au Nord, à Montmirail. Ainsi donc, le paradis est amovible ? Il dépendrait uniquement de certaines personnes, le jardin enchanté ? Louise parlait de ses amis, si nombreux que je ne pouvais plus associer les noms aux visages. Des bergers aussi, mais alors on ne sait quoi relevait son menton et passait devant ses yeux, cette sorte de sourire fier qu’on réserve à l’évocation de quelques hommes les autres, dont moi, conçoivent à ce moment-là qu’ils ne sont pas plus grands que des enfants. Elle avait commencé par confectionner pour eux, juste retour des choses, le fromage de tête d’agneau. Ils étaient passés, tous, l’hiver précédent, à la vitesse supérieure, celui de sanglier. D’ailleurs, c’était bien simple, il n’y en avait plus.
Aups, une ville voisine, s’appelle « Zaou » en provençal. Tu fais le lien, toi ? Les bergers, dans ce va-et-vient constant entre les êtres qui visent à l’autarcie, lui ont prêté des livres de Claude Michelet. « Tu sais que c’est pas mal du tout ? C’est bien. Vraiment bien. » Un lapin a sévi un temps dans le potager. « Comment as-tu fait pour l’éliminer ? » Elle a rebouché les trous, jour après jour, d’abord entre les légumes, puis vers le fond du jardin. Sur le tas de fumier enfin. C’était intenable. Il est parti.
Je me rappelais qu’elle soufflait autrefois, et que cela m’agaçait, elle soufflait comme les femmes dans les files d’attente à la caisse, à la Poste. J’avais mal compris. Avec un peu d’âge, ses expirations sont devenues plus précises, musicales parfois, et surtout : dégagées de devoir se déguiser en « consternations ». Louise reprend seulement son souffle, à son rythme, ainsi que chacun de nous, si nous n’étions pas très grande, que nous trottions sans arrêt et que nous aimions fumer, autre signe de passion.
Le soir, elle avait invité une amie très belle à dîner. Leur entente était si cordiale, leurs rires, si clairs, et venus d’une région où l’étincelant compte, que je craignis, c’est souvent avec les femmes, de ternir le tout par un mot maladroit. Je crois que je voulais voir aussi le cul rouge du chien, canicula, le mot romain pour Sirius, qui brille tuile foncée par la température qu’on vient d’annoncer. Mais le chemin, hors de l’aura, redevenait vite caillouteux. La seule chose qui compte dans une promenade, c’est le point de vue, le même pour lequel il n’est pas désagréable de revenir sur ses pas. Elles étaient encadrées par la fenêtre de la cuisine, des silhouettes vives, agitées, au milieu de tout ça, le maquis, les bergers, leurs chiens hurlant de loin en loin. Une lumière posée dans la prairie. Fragile, douce. Une lumière dans le désert.
Les constellations, au ciel, étaient si fournies qu’on en perdait leur carte, Il aurait fallu voir Sirius, on ne parvenait qu’à s’abîmer dans l’Aigle.
Il existe un procédé d’écriture, racontez où vous étiez pendant la guerre du Golfe, ce que vous faisiez le 11 septembre. La canicule, je sais.

Louise Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°47 , octobre 2003.