La nouvelle est l’art de faire court, l’art de la pointe, il est donc normal que la phrase y soit particulièrement affûtée. La première phrase de « Pialat est mort », la première nouvelle du recueil Passer l’hiver, est plutôt bien aiguisée : « J’avais trop bu et Pialat était mort. » Outre qu’on y entend d’emblée la concision péremptoire, un rien sentencieuse, que commande parfois l’ivresse, tout y est déjà dit, en tout cas beaucoup, de la manière dont les choses ici seront dites : sur le tranchant de la lame et avec un rien de douceur dans la tristesse, avec aussi un côté un peu artificiel, peut-être un tout petit peu forcé dans le raccourci, quelque chose en tout cas qui fait qu’on voit la phrase, comme telle, comme un bel objet aux angles un peu trop polis, d’une bonne facture certes, mais un peu trop soigné, un rien, vraiment un rien, mais tout de même un peu trop lissé.
Il faut dire que la nouvelle est un genre où la phrase prend sans doute plus d’importance que dans le roman : on voit mieux ce qu’on lit, de plus près. C’est aussi un genre où, allant plus vite vers la conclusion du récit, on aura tendance à hâter l’achèvement de la phrase. De ce point de vue, « J’avais trop bu et Pialat était mort » est typiquement une phrase de nouvelle, de début de nouvelle. On se doute d’emblée que l’affaire sera vite expédiée, on se cale d’emblée sur un tempo rapide. Mais on relit la phrase, car elle sonne bien, ce n’est pas une phrase qu’on lâche facilement pour passer à la suivante, ou alors on avance un peu dans sa lecture tout en la gardant à l’oreille, on l’aime bien cette phrase, on aimerait bien ne pas la perdre en route, on s’en fait une poire pour la soif. C’est en tout cas une phrase qui pose une voix tout de suite assez proche, un tout petit peu forcée encore une fois, mais proche, oui, qu’on a envie d’écouter nous raconter son histoire, déjà familière et en même temps un peu dérangeante dans son raccourci. C’est presque rien mais c’est déjà beaucoup, cette manière d’embrayer sec, directement sur la mort, comme pour un démarrage en côte. La dernière nouvelle du livre qui s’appelle « Sous la neige » évoque la mort du père de la narratrice, qui dit à un moment, parlant de l’arrivée soudaine de cette mort : « Je ne pensais pas que les choses iraient si vite. » Dans les vies des personnages d’Olivier Adam, comme dans ses phrases, la mort va vite, la vie ou l’amour ne tient qu’à un fil, celui plutôt fin de sa phrase dont on devine qu’il pourrait se casser d’un rien. Dans une autre nouvelle intitulée « Nouvel an », on lit cette autre phrase : « J’ai croisé un semi-remorque, ses phares m’ont aveuglée, j’ai fait un écart et trois secondes ça m’a traversé le crâne, je ne peux pas le nier, ça m’est venu au cerveau, l’idée du platane. »
Faire ainsi entrer la mort dès la première phrase du livre, avec ce « et Pialat était mort », sous l’apparence de cette prompte conjonction, n’est-ce pas faire de la phrase un véhicule au bord toujours de la sortie de route ? On aime bien cette première phrase pour ça en tout cas, et ce livre, pour cette sensation qu’ils nous donnent de la vie comme une ivresse un peu triste, qui d’un rien peut nous faire basculer vers l’idée du platane.
Passer l’hiver
Olivier Adam
Éditions de l’Olivier
167 pages, 16 €
Domaine français La mort va vite
La première phrase de Passer l’hiver, recueil de nouvelles d’Olivier Adam, fait un peu l’effet d’un démarrage en côte, avec passage de vitesse rapide, mais en douceur et dans le sens de la descente.