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Poésie Respiro

avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52 | par Emmanuel Laugier

Le recueil de Shirley Kaufman a la tension grave des livres écrits au plus près de ce qui nous prive d’air. Et nous en donne à nouveau.

Un abri pour nos têtes

Il y a dans la sensibilité de Shirley Kaufman, quelque chose de russe, peut-être dans la façon qu’elle a de narrer dans le poème un événement très simple, comme le souvenir de sa mère, et de l’entourer d’une lenteur où se donne tout le poids de la matière de nos vies, le poids des existences, et, à l’inverse, une sorte d’apesanteur où disparaître et rêver. Cette tension, qui est un arrachement pour les Russes, n’est pas seulement excessive, mais le mode profond d’une joie ouverte au milieu de la tristesse. Le poème « La Distance » est assez significatif de ce doux balancement par lequel le poème avance ces histoires de mémoires : « Des oreillers pleins de duvet d’oie/ la neige en hiver// où ma mère cheminait/ dans les fossés de la douleur,/ de larges tresses éclaboussant ses épaules,// ou bien elle s’asseyait près de la lampe/ qu’ils allumaient tôt/ pendant que le jeune homme lisait Pouchkine/ appuyé contre les genoux. » Premier livre de Shirley Kaufman traduit en français (et découverte par la revue Conférence), Un abri pour nos têtes, huitième volume de la belle collection « D’une voix l’autre » de Cheyne éditeur, propose un choix de poèmes écrits depuis 1970.
D’ascendance russe, mais ayant passé toute sa jeunesse à Seattle, sur la côté ouest des États-Unis, puis séjourné de longues années à San Francisco, Shirley Kaufman s’établit dès 1973 à Jérusalem, mais ne cesse de voyager, en Inde par exemple, le poème Le Bouddha de Sòkkuram en est la trace ; d’écrire sur le vif de ses propres expériences sans jamais les séparer de mémoires ancestrales, celle de sa famille, du judaïsme, celle de la Shoah. Sans être religieuse, la poésie de Shirley Kaufman est marquée par l’expérience spirituelle, mais cette dimension n’est ni affichée comme un credo, ni même entendue comme exclusive. Elle est, au cœur de ce lien au monde, inscrite dans la dimension du temps. Ainsi sa poésie fait-elle place, c’en sera la nécessité, à une immédiateté qu’au revers de quelques vers elle médite comme la dimension d’une comparution de l’être : « Les feuilles prennent la teinte de camions/ calcinés sur la route vers Jérusalem. (…)/ Les raisins au marché /déjà sentent le vin,/ et les mouches pompent le sucre/ de leurs peaux trop gonflées ». Plus loin, « Après la ferveur/ des poings sur la poitrine et je jeûne/ (…) Nous attendons, écrit-elle, face à un écran vide/ quand un film est terminé et que l’autre n’a pas commencé ». C’est à peine l’image de la réalité d’un conflit, sans ennemi déclaré, mais pudiquement replié sur la douleur de toutes les veuves, d’où qu’elles viennent. Aussi sont-elles comme des poings, serrés, « Les pierres nues les aveuglent./ Si elles ferment les yeux/ un espace sombre y pénètre. Elles le gardent/ sous leurs paupières quand elles dorment ».
Shirley Kaufman n’élude rien, ne concède rien, surtout pas le leurre et l’illusion que créent les mots pour masquer une situation qui interdit et laisse muet. C’est tout le contraire chez elle. Toute la force, bouleversante, du poème « Dans l’attente », par exemple, vient de pouvoir donner voix à ce qui n’en a pas, d’exposer la confusion presque en silence en parlant des bruits des pelles, du soleil dans le dos, de sirènes retentissantes : « Il y a des masques en caoutchouc noir dans l’armoire./ Quand tu serres les boucles et que/ tu plaques le caoutchouc commodément sur ton visage/ en attachant le filtre selon les instructions imprimées/ tu peux respirer de l’air frais pour six/ heures à peu près ». Respirons avec elle.

Un abri pour
nos têtes

Shirley Kaufman
Traduit de l’américain par Claude Vigée
Cheyne éditeur,
« D’une voix l’autre »
94 pages, 18

Respiro Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°52 , avril 2004.
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