S’inspirant d’une ritournelle adolescente, Raffarin a évoqué la « négative attitude ». N’est-ce pas que le libéralisme triomphant s’exprime ici dans sa langue-mère, où l’adjectif vient toujours se poser avant le nom qu’il qualifie ? Big brother ! Nous voilà tentés une nouvelle fois d’attribuer l’appauvrissement du discours à une percée de l’anglo-américain, via les courroies de transmission usuelles et communicantes. Ce faisant, comme si le Mal traversait toujours l’Atlantique, on oublie de considérer ce qui appartient en propre au système français, et à sa récente évolution. Notons donc, sans lorgner sur la copie du correspondant, la triste mine de nos adjectifs. Ils se retrouvent déformés par l’institution, qui aime à leur donner des airs d’adverbe il s’agit de parler franc et d’agir responsable. Évincés, même, au profit des substantifs l’espace santé et la tolérance zéro regardent de haut les antiquités nulles et sanitaires. Une hypothèse, alors : si l’adjectif a mauvaise presse, c’est qu’il varie. Toutes les grammaires vous le diront, il a bien des visages, il change de forme au gré du genre et du nombre, il est homme et femme, seul ou accompagné. D’une douteuse mobilité, réfractaire aux identités. L’adverbe, lui, rassure ; il a toujours la même gueule, et quand il tient la main à un infinitif nominalisé (le vivre ensemble), ça fait même deux têtes, impavides. Où plus rien ne se conjugue. Quant aux nouveaux composés, ils dissuadent d’emblée toute modulation : la tolérance zéro ne saurait se mettre au pluriel, elle a des allures de neutre bienveillant.
Adverbe, infinitif, nom composé… L’idiome politique se massifie en un agglomérat d’essences que plus rien ne vient nuancer et contextualiser. C’est comme cela et pas autrement. Phallus morne, le devenir citoyen se dresse à notre horizon. Et la négative attitude, que vient-elle faire là ? L’adjectif est certes bien présent ; mais son antéposition l’absorbe dans le nom. Comme pour le gros commerçant et le bel homme, il s’agit d’un emploi dit « notionnel », c’est-à-dire abstrait. Le qualifiant n’y a pas pour objet de peindre telle ou telle caractéristique (le gros commerçant n’est pas forcément graisseux), mais de ranger mon voisin dans une catégorie générale. Les deux éléments ont alors tendance à se souder, à former une unité : unité encore renforcée par l’élision de la voyelle, dans le cas de la négativ(e)attitude. Pour preuve, le tour élémentaire qu’a pris le débat : on a rétorqué autist(e)attitude et consorts, en opposant par là de bêtes essences, en s’acharnant à toujours plus régresser dans le Meccano des idées.
On objectera que le français, bien loin de tailler à la hache ses sujets, s’applique ces jours-ci à préserver les contours de leurs différences : en témoigneraient les nattes entremêlées de l’auteure et de l’écrivaine. Mais l’utilité de ces niches s’impose au seul bénéfice de nos invariants. Les discriminations positives ne sont rien d’autre que des leurres qui, dans la langue comme ailleurs, permettent de faire passer en douceur la rigidité croissante du lot commun. Jusqu’aux lendemains inflexibles.
Avec la langue Prière d’invarier
avril 2005 | Le Matricule des Anges n°62
| par
Gilles Magniont
Masculin, féminin, singulier et pluriel : on va vous faire la peau.
Prière d’invarier
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°62
, avril 2005.