Action poétique N°179
Entre hommages et analyses, la revue Action poétique propose un arrêt sur lecture du travail de Christophe Tarkos. Le poète, décédé en novembre dernier à l’âge de 40 ans, s’est imposé dans les années 90 comme une figure importante de la poésie française : on y a reconnu, par-delà sa prolixité, l’usage d’un minimalisme sémantique, « un parti pris matérialiste dans le choix des objets ou des situations sur lesquels ses poèmes se développent » (Renaud Ego, in Quatorze poètes, Prétexte, 2004).
« À l’époque où a « commencé » à écrire Tarkos, il paraissait presque impensable d’écrire de la sorte », explique Charles Pennequin. Certes, mais il faut rappeler les listes de Tzara ou encore les répétitions glossolaliques de Schwitters, ne pas oublier que toute forme d’écriture, quelle que soit ce qu’elle déplace et réinvestit en une intensité nouvelle, inscrit sa propre généalogie dans un champ ouvert bien avant elle. Ceci posé, plus loin, voie plus juste d’approche, Pennequin évoque le lien entre l’idiotie et la critique sociale, politique et économique. Christophe Tarkos s’inscrit en effet entre la famille des fous littéraires et les scribes de l’art brut. Il y a chez lui, depuis ses premiers livres publiés, Processe (Ulysse fin de siècle, 1997) par exemple, l’un des plus forts, Le Bâton (Al Dante, 1996), ritournelles de l’ascèse du maître Zen, ou plus tard encore L’Argent (Al Dante, 1999), Caisses (P.O.L, 1998) et le vrac pensé de PAN (P.O.L, 2000), une façon d’hébété, un approfondissement politique de l’idiotie, qui, plus que programmatique comme c’est beaucoup le cas dans l’art contemporain, est une action/réaction résistante, épidermique, de la voix poétique contre la fabrication des ordres du discours. Le texte Rouge, donné p. 5, en fournit un bel exemple : « s’accrocher au rouge pour s’accrocher à la vie, je m’accroche au rouge aux rouges pour m’accrocher à la vie, je m’accroche, je ne veux pas me décrocher, je m’accroche au rouge, le rouge des poires »… Philippe Castellin montre d’ailleurs comment le mode de la performance est distingué de ce que on y entend généralement, qu’il est chez Tarkos serré, mis à nu, renvoyé à la seule force de faire exister un « parler », non comme représentation, mais comme acte, « mouvement par reprise, avec des boucles et du feed-back, par tourbillons ; en spires qui n’ont ni sujet, ni début, ni fin puisqu’en tout cela il n’est question que du parler lui-même, du parler comme acte, du parler sans sujet et sans distance ». De cet ensemble de contributions, retenons également le texte de Philippe Boisnard (philosophiquement rigoureux, sans cliché avant-gardiste) et la belle synthèse affective de Jérôme Mauche. Dans le même numéro, la revue publie un dossier « Angleterre, 7 poètes ».
E. L.
Action poétique N° 179
96 pages, 12 €