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Poésie L’énergie Chambaz

mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63 | par Emmanuel Laugier

En cinq cents séquences, « Été » déplie la grande mémoire constitutive d’un trajet de vie. Un véritable bréviaire contre le désenchantement.

Il y a des livres qui vous tiennent jusqu’au bout presque en apnée. Ils vous tiennent et vous permettent pourtant de lever les yeux vers l’extérieur, de vérifier que ce que l’on lit, là, n’est pas le simple revers d’un rêve dont la tâche serait, à la fin, de nous séparer du monde, de l’altérité dans laquelle nous nous vérifions nous-mêmes comme des êtres agissants, des êtres de langage, de rêves, de veilles. Été de Bernard Chambaz fait partie de ces ouvrages-là. Il nous confronte à ce métier de vivre qu’est l’écriture.
Ce long poème séquencé fait s’alterner deux formes distinctes, le fragment de prose d’un côté, le poème en vers libre de l’autre, chacun échangeant leur modulation. Tout a la vitesse de l’effet perceptif. Même si le rythme se ralentit et place ses cuts syncopés, les séquences y sont autant flashs luminescents que chambres noires. Été est un livre d’éclairages siciliens, les ombres sont tranchées, nettes, les lumières crues et sans détour. C’est en ce sens que ce livre se veut aussi un hommage frontal à l’objectivisme américain, soit à une forme de poésie qui, à partir des années 50, imagina que le poème pût être le réceptacle d’une réalité brute et immédiate, à l’exemple de William Carlos Williams dont la fameuse brouette rouge sous la pluie sera l’emblème de son grand livre Spring and all.
La brouette rouge, ouvrière, laissée comme abandonnée au milieu d’un terrain vague, Chambaz va en reprendre le motif, réécrivant à plusieurs moments d’Été ce qu’elle figure d’un rapport nouveau des mots et du réel. Écrire à partir des choses, et non des idées que nous en avons, constitue donc l’héritage théorique de cet auteur, ce à partir de quoi Été va tisser ses chemins de traverse. Aussi peut-on le comprendre comme un poème épique, où se brasse et se mêle le tout-venant de la mémoire : le fils disparu, Martin, se transforme en oiseau (le martin-pêcheur) et dessine la parallèle souterraine et discrète d’un long poème élégiaque ; le chant d’amour d’une femme s’écrit en un poème d’une rare intensité à l’opposé des clichés du genre : « sans fin/ monamour/ tes yeux qui me tuent quand tu me détestes/ ta jupe soulevée pas seulement dans l’enfer/ la mousse encore et/ toujours inouïe/ que ce fut dans la dauphine vert tilleul à Ivry/ où à Rome à Timimoun à Brooklyn à la neige/ buée/ magi/ queA/ quoi je ne pourrai jamais renoncer ». L’engagement politique touche parfois à de belles ironies, et Mao devient dans la vieille caboche militante le dernier rêve (moisi) de l’idée révolutionnaire : « révOlution/ et puis quoi encore ?/ pourquoi pas des oiseaux dans le poème/ tswip ou tsésséssé/ ou de la neige sous les pommiers et des miracles/ quotidiens/ tant qu’à faire ».
Mais c’est aussi la légèreté du nuage, le sucre avec lequel le poème fait sa barbe colorée et vivace, qu’Été entend lancer en avant de sa propre fabrique de mots. Cornet à dé où se joue un combat contre le nihilisme et le désenchantement du monde. Été ne répète pas vainement le lien qui existe entre le sens à donner à la moindre chose présente sur terre, et une démarche qui cherche à être au plus près de leur évidence, car « d’un côté je rêve/ écrire un très long poème/ objectal/ où il n’y aurait rien de moi que la main/ et un peu de pensée/ de l’autre/ je suis plombé/ par les filets du lustre/ dont on ne se défait pas/ malgré qu’on rie/ et qu’on vieillisse à peu près droit ».
La poétique d’Été entrelace ainsi réflexions sur le poème à ce qu’il bascule de vie dans la vie : à partir de rien, le poème demeure l’exercice d’une endurance, d’une résistance contre l’abattement général. Mesurons Été à la grande santé nietzschéenne, puisque ne niant pas la dureté âpre d’un état mondial désenchantant, elle lui rétorque l’invention de nouvelles passions. C’est son ambition, sa gravité et sa justesse.

Emmanuel Laugier

Été
Bernard Chambaz
Flammarion
296 pages, 19,50

L’énergie Chambaz Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°63 , mai 2005.
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