Le second dimanche de l’Avent, un ancien religieux ayant convié plusieurs personnes à dîner, entre lesquelles se trouvaient plusieurs dames (…), les sollicita de passer par dedans le cloître, pour aller dans sa maison qui est du côté de la cour, hors des lieux réguliers » : il ne s’agit pas d’un début de roman, mais de la Résolution de plusieurs cas de conscience touchant la morale et la discipline de l’Église (1695) rédigée par un docteur en Sorbonne. Luxe de détails, exploration des circonstances comme de la psychologie humaine, la voie est en tout cas ouverte à la Princesse de Clèves comme aux Lettres de la religieuse portugaise. Selon Jacques Le Brun, spécialiste du catholicisme européen, on ne saurait dégager les traits particuliers du christianisme indépendamment de leur écriture. Ainsi, alors même qu’au XVIe siècle l’Église se divise en confessions, la littérature de dévotion vient à se multiplier en recueils de cas de conscience ou récits d’expériences mystiques, tels ceux d’une Mme Guyon se disant « stylée à l’opération de Dieu qui (la) faisait écrire »… À travers divers articles ou communications datées de 1974 à 2001, l’auteur s’attache ici à « faire parler l’écrit en ses replis les plus cachés », montrant que c’est le catholicisme lui-même qui a créé les conditions de sa propre disparition. En sa « pointe », il « suscite toujours son autre ou son contraire, qui est à la fois sa ruine ou ce qui le nie et ce qui suscite sa vitalité » : on découvrira notamment, au fil de ces passionnantes recherches, que les premières « Lumières » furent le fait des censeurs de la Faculté de Théologie, et non celui des libertins.
Gilles Magniont
La Jouissance et le trouble
(Recherches sur la littérature chrétienne de l’âge classique)
Jacques Le Brun
Droz, 636 pages, 22 €
Essais Avant Jean-Paul
mai 2005 | Le Matricule des Anges n°63
| par
Gilles Magniont
Un livre
Avant Jean-Paul
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°63
, mai 2005.