J’essaie de m’en laisser conter ». Il y a quelque chose d’émouvant chez un auteur contemporain à avouer son addiction au conte de fées. Il était une fois la vie, l’amour, la mort… Rien ni personne ne semble y échapper dans ces nouvelles très inégales publiées entre 1982 et 2002. Même la télévision, entité à mi-chemin entre compagnon de vie et colocataire télécommandé, lui raconterait elle aussi des histoires. Mais, à l’image de madame Réalisme qui apparaît plusieurs fois dans son recueil, Lynne Tillman ne croit pas toujours à ses croyances. Déroutant. Voire décourageant pour le lecteur égaré entre rêve et réalité. L’influence déclarée de Lewis Carroll peut aider parfois à surmonter l’impression de chaos qui domine. Quand madame Réalisme se rend à un dîner où « L’un des hommes est déprimé ; deux de ses maîtresses font partie des invités. Il se prend pour Kierkegaard », on pense aussi à Woody Allen. Dans ce labyrinthe d’interprétations oniriques façon psychanalyse à Manhattan, monologues de personnages et fragments de journal intime, une scène parvient cependant à convaincre : la rencontre (réelle ou fantasmée ?) avec Clint Eastwood dans un bal costumé. Elle, en habit de son « névrosé de père ». Lui, on ne sait pas. « Silencieux, réservé, il me troublait autant qu’une nature morte. L’esprit de décision lui-même est impassible, comme la mort. Pour moi, Clint incarnait l’homme ». Du tangible, du charnel presque, madame Tillman dont c’est ici la première traduction se découvre enfin. Sans la faire renoncer pour autant au prince charmant, il faudrait lui suggérer de traverser définitivement le miroir.
Françoise Monfort
Le Complexe de madame Réalisme
Lynne Tillman
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Aurélia Lenoir,
Le Dilettante, 286 pages, 20 €
Domaine étranger Apparitions de Clint
juin 2005 | Le Matricule des Anges n°64
| par
Françoise Monfort
Un livre
Apparitions de Clint
Par
Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°64
, juin 2005.