Elle le précise d’emblée : ce n’est pas parce qu’elle est une des petites filles de Jean Paulhan qu’elle est venue à l’édition (à sa mort, en 1968, elle n’avait encore que 11 ans). Bien sûr, ce n’est sans doute pas un hasard si, juste après le baccalauréat, elle travaille dans une librairie, aboutissant rapidement à la FNAC Montparnasse, où elle voit passer près de 80% de la production des livres. Lorsqu’elle aspire à rencontrer l’univers de l’édition, son choix se porte sur Ramsay, auréolé du succès de La Bicyclette bleue de Régine Deforges. En 1985, elle se forme donc sur le tas, se confrontant à la matière intellectuelle et physique du livre. Elle ne tarde pas à créer sa propre collection en découvrant le Journal de Catherine Pozzi, que Gallimard avait refusé. Elle entre alors dans ce qui lui plaît vraiment : « un travail de bénédictin », qui associe lecture du manuscrit, copie et saisie du texte. Au final : un volume de 700 pages d’un écrivain très peu connu. Cette première aventure s’achève en 1991. Suivront Seghers et Verdier. Un incident avec la maquette d’un livre l’aide à sortir du bois : en 1996, héritant d’un peu d’argent à la mort de son père, elle fonde sa propre maison d’édition, et s’installe dans un créneau très étroit, celui des écrits intimes inédits d’écrivains du XXe siècle (inédits, même si elle avoue avoir souhaité rééditer les trois tomes des Souvenirs sans fin d’André Salmon). Une activité d’éditeur « non lucrative » qu’elle partage avec un temps partiel à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine).
Pourquoi avoir choisi les écrits intimes ?
Par plaisir et par intérêt. Je n’aime pas lire les romans, mais j’aime beaucoup les biographies, les autobiographies, les mémoires, les récits de vie, les correspondances, les journaux, les confessions. J’ai l’impression de nager dans un terrain qui m’est extrêmement familier, alors que je n’écris pas mon journal, et que je n’ai surtout pas envie de faire ça. C’est le travail sur les autres : faire les notes, l’appareil critique, rechercher surtout, faire l’enquête. Le côté flic, je vais tout savoir de la vie de quelqu’un…
Flic et pas voyeur ?
Si, voyeur aussi. Flic, voyeur, infirmière, croque-mort. C’est le côté négatif, mais le côté positif c’est faire que les morts soient vivants, et au premier rang des morts il y a bien sûr mon grand-père.
Jean Paulhan occupe d’ailleurs une place privilégiée dans votre catalogue…
Je suis une des ayant droit. Les archives ont été déposées à l’IMEC. Je les ai classées, ma mère s’en était occupée avant moi… Sans être dans un état de révérence absolue par rapport à Jean Paulhan, je m’intéresse quand même beaucoup à ce qu’il a fait, ne serait-ce que pour pouvoir répondre aux demandes des gens. Il y a beaucoup de gens qui travaillent sur sa correspondance (au moins une trentaine de projets d’édition en cours actuellement). Je ne me suis pas intéressée à l’image de mon grand-père avant 1984,...
Éditeur Morts et vifs
Nés d’enquêtes menées dans les archives littéraires, fruits à la fois d’un long travail d’érudition et de typographie, les livres de Claire Paulhan ramènent en plein présent des pages intimes de l’entre-deux-guerres. Comme autant de sépultures.