La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Le grand voyage

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Richard Blin

Que deviennent l’être et nos rapports avec ce qui est lorsqu’on les aborde à partir des acquis de la physique quantique ? Refusant la simplification et le consensus, Koronéos pose, avec « Fait divers », ambitieux roman philosophique, les bases d’une impossible ontologie.

Faits divers, description d’un messie

Enfin un livre qui bouscule les frontières du savoir et de l’écriture, qui n’hésite pas à ouvrir de larges brèches dans la positivité, qui séduit et oblige à penser. Un livre que son auteur a médité cinquante ans et qui constitue le quatrième volet d’une œuvre globale composée de théâtre (Ontologie I), de poésie (Ontologie II) et de philosophie (Ontologie III). Né en Grèce en 1933, Koronéos s’est fixé à Paris en 1962, après avoir longtemps séjourné en Suisse où il étudia la philosophie, la sociologie, l’histoire des religions et la psychanalyse à l’institut Jung. Dès 17 ans il a eu le désir d’écrire quelque chose qui engloberait, dans la mesure du possible, la totalité de l’expérience humaine. Fondre en un seul texte tous les genres littéraires en y associant des notions venues des mathématiques, de la médecine ou de la physique. Ce rêve, son Ontologie le réalise, et Fait divers en accomplit l’idée architecturale.
Fait divers a pour personnage principal « le voyageur », Agdir, un physicien qui sait combien tout est incertain et modifiable, qu’il n’est rien qui fonde ou garantisse, et surtout pas la science. Le livre s’ouvre sur le retour à la conscience du Voyageur. Il sort d’un malaise, d’une sorte de black-out. Il se trouve sur la plate-forme d’un immeuble en construction et se souvient progressivement. Il a tué quelqu’un, son initiateur, son supérieur hiérarchique, un homme dont on lui avait tout récemment révélé qu’il avait été, jadis, médecin dans un camp d’extermination nazi. Serge, un jeune drogué bisexuel qui a tout vu, le suit, l’aborde et se lance avec lui dans une conversation fascinante. Il l’entraîne chez sa sœur…
À partir de cette trame de fait divers, Koronéos revisite la question de l’adéquation à soi, au monde, aux autres. Que devient le réel, et comment se pose le problème de l’être et du mal quand on l’envisage à partir des acquis de la physique quantique, c’est-à-dire à partir d’un lieu où sont remis en question des concepts aussi fondamentaux que ceux du temps, de l’espace et de la causalité. Comment aborder ce qui est à partir de l’effondrement des certitudes de l’homme sur l’univers et sur lui-même ?
« Fait divers » est une approche confondante de ce chaos insensible qu’est le réel en tant que matière insensible aux aspirations idéalistes des hommes.
À partir du trou noir dont il émerge lentement, le voyageur va donc voir le monde avec d’autres yeux, l’appréhender dans sa pluridimensionnalité, son indivision, ses champs d’émergence. Puisqu’il est là, qu’il respire, le voyageur doit agir (Agdir = agir + être son propre dieu ?). Mais selon quels critères ? dans un monde où futur et passé interagissent, où nos vérités sont relatives, où les paramètres sont fluides et les variables opaques, où l’aléatoire et les motifs cachés gouvernent nos faits et gestes. « Je suis constamment piégé par ce qui m’échappe. Qui germe et qui m’échappe ». Comment sortir de l’impasse tragique ? Comment déjouer les instances manipulatrices ? Comment agir dans un monde où « il y a une infinitude de causes dont chacune fait partie d’autres causes déterminées par d’autres causes et celles-ci encore par d’autres » ; un univers gouverné par l’empire du nombre et où le malheur peut arriver par une faute de calcul, comme le pensait Nerval. Comment s’y retrouver quand on sait combien nos perceptions interprètent, sélectionnent, « ne reflètent pas le réel mais le construisent » ? C’est là qu’intervient l’originalité de Koronéos. Dans sa façon de nous introduire littéralement dans le laboratoire mental d’un Je aux prises avec la jungle des apparences, l’héritage de ses chromosomes et un corps soumis aux attributs « des tensions centrifuges de la chair ». Le texte, de par sa forme et son écriture, tente de s’approcher au plus près du flux existentiel, du tissage d’impressions, de sensations, de pensées contradictoires, réversibles qui forment la trame de notre présence au monde. D’ailleurs tous les personnages (Serge, sa sœur Eliane et le passeur) ne sont que des facettes du voyageur, de cette entité sujette à mille métamorphoses qu’est un être humain « nœud de souvenirs, de synapses et de vibrations sous contrôle d’un sujet mais ineffable ; lueur apparaissante et disparaissante ». Et dans ces conditions, comment envisager le problème du mal dans un monde où le pire est toujours d’actualité, où l’homme est assoiffé d’adversaires, où Dieu n’est que le Dieu du désastre, « un mirage pour les exclus » ? Le mal, l’instinct de destruction, ne serait-il pas partie intégrante de nous-mêmes ? De la « Très-Sainte-Inquisition, huile brûlante sur les mamelles, phalanges broyées sous les gloria », à Auschwitz et Nagasaki (« joyeux brasier en l’honneur du Graal »), en passant par les génocides, des millions de morts « au nom d’une patrie, d’une race ou de la liberté ou du socialisme ». À chaque fois, c’est au nom d’un credo que l’on tue, « car tout credo supprime le doute, et donc un aspect de notre identité ». Dès lors, toutes les questions qui agitent Agdir au sujet de son crime deviennent exemplaires. Pouvait-il tuer un assassin nazi ? L’a-t-il effectivement tué ou n’est-ce pas lui qui s’est jeté dans le vide, se sachant démasqué et/ou parce qu’il se savait atteint d’un cancer ? Saura-t-on jamais ce qui a fait la mort de cet homme ? Toutes ces interrogations n’ont d’autre but que d’attirer notre attention sur le fait que le Mal, le désir de destruction, est une donnée majeure avec laquelle l’espèce humaine doit compter. Ce qui rapproche Koronéos de Celan et de Canetti, qui n’étaient pas ses proches amis pour rien.
Fait divers est le récit de ce voyage d’exploration, de cette errance somnambulique parmi les labyrinthes et les énigmes de ce qui est comme de ce qui tend à être. Une approche confondante de ce chaos insensé qu’est le réel en tant que matière insensible aux aspirations idéalistes des hommes. Un chemin au long duquel le voyageur s’occupe à réorganiser les pièces éparpillées d’un puzzle dont le mental n’est qu’un des aspects. Il cherche à comprendre, à s’intégrer dans l’inintégrable, dans un univers qui « bafoue la pensée », où le futur émet des rêves, « décombres de l’inaccompli », et où ce qui parfois se dévoile est au-delà des mots et des images. D’où la conviction, chez Koronéos, que nous participons à un calcul qui nous dépasse et si erreur il y a, elle est incluse dans le calcul. Bien sûr, nous n’en pouvons rien savoir, mais Koronéos pense qu’il existe peut-être en nous un point qui sait, et qu’il localise dans l’extase, un certain sommeil, ou le sentiment inexplicable, parfois, d’être en accord avec les choses, ce que Dante savait quand il affirmait qu’ « être au paradis, c’est occuper le lieu juste de l’univers ».
Mais plutôt que de croire à une transcendance, Koronéos réinterprète le mythe du Messie (Fait divers est sous-titré « Description d’un messie »). Il en fait celui qui annonce le monde tel qu’il est l’être. Celui qui nous dit qu’il y a quelque chose d’indescriptible qui est plus réel que chacun d’entre nous. Et ce quelque chose est ce vers quoi se dirige le voyageur, et à travers lui, le lecteur. Fait divers est la description du monde où pourrait venir le messie, la description de ce qui pourrait conduire à l’apparition de l’indescriptible au sein même du lecteur. D’où le grand silence aveuglant de la fin…
Inconfortable et fascinant face à face avec l’être, Fait divers relève d’une forme et d’une écriture tout aussi envoûtante, tenant autant de la partition musicale que de l’art de la fugue. Un livre où s’articule toute une épellation du réel, où se déploie la matière de l’instant, son kaléidoscope de sensations et d’associations. En somme, c’est la totalité bouleversante, et la généalogie hasardeuse de ce qui fait notre présent, qui est comme radiographiée. Le rythme, la ponctuation, les majuscules, les passages à la ligne cherchent à donner une image analogique de cette totalité telle qu’elle peut être saisie puis perdue au fur et à mesure que le présent se fait en se défaisant. Les références mobilisées, la culture déployée, le tourbillon des visions philosophiques et mythiques du monde, produisent un texte dont l’écriture est acte, quête de soi, expérimentation de ce rapport toujours raté à l’être, et dont la dynamique sans nom devient le moteur d’une écriture qui sollicite le lecteur jusque dans ses ressorts les plus inconscients, tout en lui donnant à voir ses propres aveuglements face à ce qui, absent, n’en continue pas moins de rayonner. Comme pour mieux suggérer sans doute, qu’il n’est qu’en soi-même qu’on peut trouver son dieu, et que la seule façon de continuer à entretenir le mythe d’un espoir, est encore d’aller résolument vers l’horizon d’un encore non-dit.

Fait divers
Description d’un messie

Koronéos
Présentation de F.Tristan
Le Grand Souffle
590 pages, 29,60

Le grand voyage Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
LMDA papier n°67
6,50 
LMDA PDF n°67
4,00