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Domaine étranger La langue des morts

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Dominique Aussenac

Enquêtant sur le suicide d’un ethnologue, Bernardo Carvalho emmène le lecteur dans un tourbillon narratif pour célébrer les civilisations perdues.

De tous les légumes, l’oignon est le plus à même de symboliser le secret. Le roman de Bernardo Carvalho en emprunte ainsi la structure. Dans cet ouvrage de fiction « fondé sur des faits, des expériences et des personnes réels », pelures après pelures, textes, lettres, témoignages oraux, études ethnographiques, photographies s’enchevêtrent les uns sous les autres, rendant la lecture aussi déroutante que fascinante, diffusant plus de mystères, d’effroi qu’elle ne révèle de vérités. De la vérité, une lettre testament qui parviendra plus de soixante ans après à un destinataire inconnu dira qu’elle « est perdue au milieu de toutes les contradictions et les incohérences. » Pourquoi la traquer ? Pour ne pas mourir d’ennui peut-être.
La lecture d’un article consacré à un jeune ethnologue américain, Buell Quain, suicidé d’une manière atroce, au fin fond de l’Amazonie, au milieu des Indiens Krahô en août 1939, plonge l’auteur dans une étrange stupeur. Une intuition l’amène à penser qu’il a déjà entendu ce nom. Mais quand, comment ? Cela sera révélé et de fort belle manière à la fin du livre. Si Carvalho utilise une forme assez identique, la mise en abîme s’avère encore plus abrupte que dans son précédent roman, Mongolia (Métailié, 2004), lequel nous entraînait à la recherche d’un diplomate dans les montagnes et les steppes asiatiques. Ici, l’écrivain brésilien, ancien correspondant de presse à Paris et New York, toujours à l’entre-deux du journalisme et de la littérature, s’intéresse à un personnage dont le travail est d’enregistrer les paroles, les actes qui expliquent le fonctionnement d’une société traditionnelle. Or, la société choisie, celle des Indiens Krahô, repoussée par les autres tribus « jusqu’à s’établir dans le lieu le plus impropre à leur survie et en même temps leur unique refuge. Le Xingu est ce qu’il leur restait » est en pleine déliquescence. Elle vit dans la terreur du monde extérieur. L’auteur de la lettre testament évoquée plus haut, écrira : « j’ai l’impression qu’il avait trouvé un peuple dont la culture était la représentation collective du désespoir qu’il vivait lui-même et qui constituait un trait de sa personnalité. »
Dans un premier temps, l’enquête présentera divers témoignages sur le jeune ethnologue, brillant, séduisant, issu d’un milieu aisé. On croisera sa directrice de thèse Ruth Bénédict et les célèbres anthropologues Claude Lévi-Strauss et Alfred Métraux, pas toujours à leur avantage. Faits avérés et racontars seront ici exposés. L’auteur évoquera aussi ses souvenirs d’enfance, son père, commerçant avec les Indiens, l’amenait en avion. Souvenirs teintés d’effroi, vu les pérégrinations et les risques inouïs encourus. Ce qui ne l’empêchera pas d’aller à la recherche des survivants des Krahô et de poursuivre d’autres révélations. Carvalho n’en saura pas plus, fera preuve de couardise, devenant la risée de la tribu. Ces témoignages hypertrophient d’une manière névrotique, hystérique, la souffrance, l’extrême solitude, la fragilité, la folie de l’ethnologue perdu dans l’espace et le temps. Dans la dernière partie du livre, l’auteur met en parallèle deux dates dramatiques de l’histoire de l’humanité le suicide de l’ethnologue correspond au début de la Seconde Guerre mondiale, le commencement de son enquête, avec les attentats du 11 septembre. Ce roman prendra alors les allures d’un travail de deuil qui liera les deux hommes. Le nom de Buell Quain, le narrateur l’a entendu une dizaine d’années plus tôt, alors qu’il était au chevet de son père mourant. Ce dernier partageait la chambre d’un vieil américain qui attendait dans son agonie la venue d’un homme. Quand le narrateur apparut, il y eut méprise. Le vieillard reconnut en lui le jeune anthropologue suicidé. C’est ce rapport fantomatique, cette passation d’un bâton de mort, puis la parution de l’article qui déclencheront l’enquête et lui donneront cette dimension fantastique comme si un individu enquêtait sur son propre décès.
De troublantes coïncidences et une angoisse croissante traversent ce roman qui s’offre aux ténèbres. Les ouvrages de Carvalho emboîtant le pas de Joseph Conrad, inoculent à l’aventure humaine une troublante et noire fascination pour les mystères de la mort. Ici, l’hommage s’avère d’autant plus explicite, qu’à la fin de Neuf nuits, de jeunes gens liront à des vieillards, des passages de Lord Jim ou de Compagnon secret. Le doute permanent inhérent à toute quête, le problème de l’identité qu’elle soit sexuelle ou liées aux origines rappellent Antonio Tabucci ou Italo Calvino. Ce livre très pessimiste célèbre l’aventure et sa vanité, les êtres et les civilisations perdues, tout en laissant traîner des traces, des témoignages personnels. Une superbe et très habile manière pour l’auteur d’évoquer sa propre mort. « Je me suis souvenu d’avoir vu un jour, dans un des programmes de télévision sur les civilisations anciennes, que les Nazca du désert du Pérou coupaient la langue des morts et la mettaient dans un petit sac soigneusement fermé pour qu’ils ne tourmentent plus les vivants. Je me suis tourné de l’autre côté et contrariant ma nature, j’ai essayé de dormir, ne serait-ce que pour faire taire les morts. »

Neuf nuits
Bernardo
Carvalho
Traduit du brésilien par Geneviève
Leibrich
Métailié
187 pages, 17

La langue des morts Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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