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Des plans sur la moquette Pièces à conviction

novembre 2005 | Le Matricule des Anges n°68 | par Jacques Serena

C’est simplement que, pour ma part, je serais plutôt de ces romanciers qui ne voient plus trop l’intérêt de persister à écrire aujourd’hui des romans, s’il s’agit d’inventer encore et encore de nouvelles histoires. C’est comme les artistes plasticiens qui m’intéressent, disons Lydie Arrickx, Anton Tàpies, Pizzi Cannella, etc. qui ne voient plus trop l’intérêt d’inventer aujourd’hui de nouvelles images. Ou comme les musiciens qui m’intéressent, Luc Ferrari, Pierre Henry, John Cage, etc. qui n’ont plus trop vu l’intérêt de composer encore de nouveaux morceaux. Eux tous, et moi avec elles et avec eux, trouvons autrement plus intéressant de tenter d’un peu s’arrêter pour réfléchir sur quelques bruits déjà existants, objets déjà présents, anecdotes déjà avérées, bref, à ce qui est déjà là. Ce qui est encore là, plutôt. Parce que, aujourd’hui, ce qui est, c’est, en gros, ce qui reste. Après que les tentatives, qui étaient hardies, aient capoté, l’une après l’autre, toutes, ou pratiquement, ou peu s’en faut. L’illusion du progrès est morte depuis longtemps, pour qui s’arrête pour y réfléchir une minute, comme l’illusion des victoires, des libertés, des fraternités, les choses de ce genre.
Tenter de réfléchir, donc. Parce que, pour par exemple un romancier, inventer de nouvelles histoires ressortirait de cette vieille illusion humaine qu’un être est capable de comprendre ce que fait tel autre être, ou tels autres, et parfois même l’illusion de comprendre les raisons qui les poussent à faire ce qu’ils font. Alors que, aujourd’hui, force nous est de constater, si l’on a un tant soit peu vécu des choses, ou essayé de vivre avec quelqu’un, force nous est de constater que n’avons jamais rien su et ne saurons jamais rien les uns des autres.
En vertu de quoi, tout ce que peut à la rigueur faire un écrivain conscient de son époque, aujourd’hui, s’il tient absolument à persister à écrire, c’est tenter de présenter une espèce de rapport sur lui-même, du genre procès-verbal, sur lui-même et sur ses actes, pour essayer de voir à leur trouver un sens.
Tout le reste est pathétique mensonge. Ça ne prend plus.
Comme tout ce que peut à la rigueur faire un musicien ou un peintre, aujourd’hui, c’est tenter de faire une espèce de constat des lieux.
Parce que tout artiste un tant soit peu sensible et qui sait penser de façon quelque peu cohérente ne peut être aujourd’hui que mélancolique.
Et le lieu propre à la mélancolie c’est tout naturellement le lendemain de fête, la trahison, le fiasco, le désamour. Champ de ruines.
Alors Stockhaussen fait de la musique avec un vieil hélicoptère qui ne décolle plus, alors Coughlin présente des toiles avec des empreintes de vieilles plaques d’égouts (photo). Des choses qui en ont fini avec leur fonction, se retrouvent réduites à elles-mêmes. Comme nous, en fait.
À rapprocher du travail de Kafka, de Beckett, de Gombrowitz, de Céline : tenter désespérément de racheter le désastre en le transubstantiant en sagesse existentielle.
Ces choses désaffectées, ces reliques, pièces à convictions, tout ces champs de défaites, ces ruines, par leur côté faussement anecdotique, témoignent de ce que notre sempiternel et pathétique besoin de croire en quoi que ce soit et de construire quoi que ce soit est voué dès le départ à un inéluctable déclin. Ce qui hier encore était l’expression d’énergies vitales, révoltes, champ de bataille, théâtre d’action, nid d’amour, a pris plus ou moins le même air d’office funèbre. Vestiges, délabrements, effondrements. L’heure du constat. Si on y tient, on peut encore vaguement reconnaître le plan de la construction de la maison, de la rue, il reste des voûtes, linteaux, portes, pans de murs, vieux matelas où l’on crut faire l’amour, quand on le défaisait. Bribes de rideaux, le vent passe dans les ouvertures des fenêtres. Et d’étranges individus plus ou moins nus, d’on ne sait plus trop quel sexe, rôdent dans les pièces vides où se voient encore les vestiges des croyances d’alors. La nature récupère ce que les êtres avaient naïvement cru lui gagner, pauvres bestioles. La ruine est là pour rappeler que la préservation de toute chose et de tout sentiment réclamait une attention et une énergie sans faille, dont nul être, en fin de compte, n’est humainement capable. Rien ne peut durer, survivre, même pas le grand et bel amour, surtout pas le grand et bel amour, bien sûr. Tel est l’inflexible savoir du mélancolique. Autrement dit, de tout artiste étant aujourd’hui un tant soit peu observateur, sensible à l’air du temps. Quelque belles et puissantes et triomphales aient été, sont et seront nos passions, nos croyances, nos constructions, il existe dès le départ une force plus grande, éternelle. Celle du lent et inexorable déclin.

Pièces à conviction Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°68 , novembre 2005.
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