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L'Anachronique Printemps au Verdon

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Éric Holder

J’ai reçu cet hiver la lettre d’une abonnée médoquine. Dans « abonnée », il faut entendre au Matricule des anges, « Soyez un ange, abonnez-vous » il s’agissait donc d’un ange, et dans « médoquine », qu’elle connût la région au point de reprocher une approximation que j’avais commise dans une chronique. « Le Médoc, » avais-je écrit en traçant mentalement une ligne nord-sud, « de Soulac à Blanquefort… » Eh bien, disait en substance la correspondante, ignorais-je qu’au-delà de Soulac, au bout indispensable du pays car que serait une presqu’île sans sa pointe ? s’étendait la commune du Verdon ? Et qu’elle recelait une part de beauté dont, si j’y étais allé au moins une fois, je me serais souvenu. Dommage de rater ça… Marianne, pour ne pas la nommer, proposait qu’à la belle saison, nous nous promenions ensemble. Elle m’aurait montré ce qui ne saute pas aux yeux des étrangers, et vaut que, tout hébété encore par les charmes de sa voisine colorée, j’indique Soulac au lieu du Verdon. Une balade, n’allez pas imaginer autre chose. On vous connaît, les garçons.
C’était un dimanche après-midi de mai fouetté par le vent. Entre ses coups, des périodes de chaleur amortissaient les gestes, atténuaient les bruits, figeant le marais limitrophe (parfois, la nature elle-même semble gagnée par la torpeur du jour du Seigneur). Les ombres glissaient contre les murs éclatants du bourg avec une netteté et une profondeur qui évoquaient l’Espagne. Marianne portait une jupette, des tennis, un pull de marine. Son vélo était attaché non loin de la caserne des pompiers. Elle avait la moitié de mon âge. L’odeur des acacias en fleurs, par bouffées, coupait la respiration. Elle me montra l’ancien village ostréicole, les cabanes en bois qui suivaient une boucle du chenal parmi les roseaux. Nous traversions des nuages de pollens différents (parachutes, poussière, poudre d’or). Les genêts et les ajoncs flambaient sur la lande. Des canards traversés par une idée inconnue pourchassaient brusquement leur femme, et fonçaient au ras de l’eau des étiers. Puis ce fut le boulodrome, place Babut Cippolina, personnage fameux ici, puisqu’il intervient dans la locution « Menteur comme Babut ».
J’écoutais la voix « nue à la claire fontaine » de mon guide survoler Le Verdon comme si je n’y avais jamais mis les pieds. Or j’étais venu ici plusieurs fois, à chaque, pour Jean Rolin. Encore la plus récente avait-elle duré un mois, durant lequel j’étais venu vérifier « le moment exact où les mimosas s’apprêtent à fleurir ». La demande de Jean m’apprit que l’instant est subtil, après des semaines où le vert des branches pâlit sous une poussée de fièvre jaune. Aurais-je dit la vérité à Marianne, je l’aurais peut-être assombrie si gracieuse, si bien élevée de n’être là que pour m’aider à trouver les morceaux d’une mosaïque incomplète, ce goût qu’a Jean pour Le Verdon, et dont des éléments me manquaient.
Lors de notre première rencontre sur la pointe de Grave, une équipe de télévision l’accompagnait. D. et moi avions franchi les vingt-cinq kilomètres qui nous séparaient de lui, au soir tombant, sous un ciel peuplé d’immenses animaux calmes, bleu d’acier. La végétation, passé Soulac, arrête une seconde le cœur de qui connaît la Méditerranée, mélange de chênes verts et de pins qui renvoie à Saint-Raphaël, Boulouris et Agay. Lorsque Jean se glissa le long du bar de l’hôtel, longue silhouette noire, avec son sourire des yeux, Le Verdon fut l’objet d’une subite transformation : l’air, si possible, fut plus pur, le ciel, plus haut, l’âme souffla au-dessus des pins. Au cours du dîner, je compris en grande partie ce qui l’amenait ici : la navigation, les porte-conteneurs, les vraquiers, les cargos. Je supposais également les images qu’avaient dû en tirer les messieurs qui mangeaient avec nous. Je regrettais de ne pas être de leur groupe.
La deuxième eut lieu en plein cœur étouffant de l’été. Le navire à bord duquel, envoyé spécial de lui-même, il convoyait une voiture d’occasion parmi d’autres, depuis la mer du Nord jusqu’au Congo, relâchait une après-midi à la pointe du Médoc. Nous le cueillîmes, D. et moi, amaigri et clignant des yeux dans le soleil, à la sortie du grillage qui défend le Port autonome. Une seule autre personne traversait la friche dominée par les élévateurs, un jeune matelot ukrainien, à qui il demanda, en anglais, s’il voulait profiter de la voiture. L’autre préférait marcher.
Nous fîmes quelques courses dans un supermarché. Deux bouteilles de vin, peut-être, pour l’équipage j’avais lancé la proposition provoquèrent des réflexions byzantines et cruciales, à cause du code des préséances à bord, du tempérament de chacun et des conséquences de l’acte. Ce n’était pas, disait-il, sans analogie avec Proust, qu’il avait emporté pour seule lecture. Il s’agissait par ailleurs d’un « voyage sec », c’est-à-dire sans alcool. Nous allâmes goûter l’escale sous l’auvent de buvettes surgies le long de la plage, près de la voie ferrée qui s’achevait dans le sable. Une fête foraine avait explosé, disséminant ses visiteurs sur de larges portions de territoire, la lumière, finalement, gênait moins Jean que le passage d’une planète à une autre. Lorsque nous le raccompagnâmes au bord de celle-ci, à l’entrée de la zone portuaire, dans le soleil couchant, il parut tout à coup d’une fragilité poignante.
Marianne s’était assise sur un rocher et massait à présent ses mollets. Nous avions marché des heures sans nous en rendre compte. « J’ai vu Le Verdon autrement » confiait-elle. La vérité était que moi aussi. J’attendis qu’elle eût repris son vélo avant de me rendre « Chez Belou », sa treille accueillante, son patron chantant Johnny Hallyday mieux que Johnny Hallyday.

Printemps au Verdon Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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