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Intemporels Retour aux sources

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Didier Garcia

Revenu au pays, un jeune Haïtien cherche l’eau qui rendra la vie à son peuple. Un roman poétique et engagé de Jacques Roumain.

Gouverneurs de la rosée

Écrivain, journaliste et sociologue haïtien, Jacques Roumain (1907-1944) s’est aussi fait connaître pour son engagement politique : il a soutenu la culture indigène, résisté contre l’occupation américaine et dénoncé les exactions eugénistes du dictateur Raphaël Trujillo. Il fut en outre un des fondateurs du Parti Communiste haïtien. Quant à sa notoriété littéraire, il la doit à un roman, considéré comme son chef-d’œuvre : Gouverneurs de la rosée, achevé 42 jours avant sa mort. Un roman que Louis Aragon en personne a importé en France, le faisant publier dans la collection « Bibliothèque française » qu’il dirigeait aux Éditeurs réunis, et qui se trouve aujourd’hui traduit en une petite vingtaine de langues. Une audience internationale donc, mais avant tout nationale, puisqu’il est désormais mentionné dans toutes les histoires de la littérature haïtienne.
Lorsque ce roman s’ouvre, on pénètre dans la vie d’un vieux couple : Délira et Bienaimé. La misère, ils la connaissent : ils vivent dedans. Elle fait tout leur quotidien. Même leurs membres en produisent : quand Délira se lève, « c’est comme si elle faisait un effort pour rajuster son corps ». De braves gens malgré tout, attachants jusque dans leurs excès (Bienaimé ne cesse de grogner, et Délira d’invoquer Dieu), pleins de cette humilité qu’ont les mains habituées à fouiller la terre (et il faut bien reconnaître que cette terre n’a plus grand-chose à leur offrir). Le lecteur prend ensuite son comptant de jérémiades et d’activités quotidiennes, de celles qui servent surtout à créer une atmosphère, puis on apprend l’essentiel : le fils de ce couple abruti par la misère est parti couper la canne à sucre à Cuba. Cela fait d’ailleurs quinze ans, et une douleur de plus pour Délira, qui le recommande chaque jour à Dieu et ses saints.
Au chapitre deuxième, le voici qui débarque. Cette fois, c’est du sérieux : il restera au pays jusqu’à la fin de ses jours (ceux-ci sont comptés, mais il l’ignore). Manifestement, son séjour à l’étranger lui a ouvert les yeux : « ce n’est pas Dieu qui abandonne le nègre, c’est le nègre qui abandonne la terre et il reçoit sa punition : la sécheresse, la misère et la désolation ». Ce sont des propos qui portent, y compris pour sa mère : « Tes paroles ressemblent à la vérité et la vérité est peut-être un péché ». Péché ou pas, c’est la stricte vérité (inutile de payer un prêtre vaudou et d’attendre un miracle de ses paroles) : à trop déboiser, les autochtones ont arraché à leur terre tout ce qui pouvait y retenir l’eau, faisant ainsi leur propre malheur.
Dès lors, Manuel n’aura plus qu’une seule chose en tête : trouver l’eau qui sauvera les siens. Les siens, ou plutôt ce qu’il en reste : à son retour, il découvre aussi que le village se trouve divisé en deux clans, suite à une sombre affaire de sang et à un mauvais partage des terres. Cela n’empêche pas Manuel de continuer à plaider en faveur de l’union, à en appeler au rassemblement de tous les nègres, autrement dit ceux qui travaillent la terre, ceux qui y plongent leurs mains, et que le narrateur nomme les « gouverneurs de la rosée » (sans doute n’ont-ils plus que la rosée sur laquelle exercer quelque pouvoir). L’eau permettrait donc de réunir les habitants, rétablirait la communauté fraternelle ; et face à l’autorité blanche, la négritude pourrait devenir une force.
Grâce à un vol de ramiers, Manuel découvre un jour la source tant convoitée (entre-temps, il a trouvé le moyen de s’éprendre d’Annaïse, une mulâtresse du camp ennemi, et de lui promettre un avenir idyllique). Il va alors s’employer à réconcilier les deux clans : il est impératif que les bras s’unissent, que les cœurs oublient le sang versé, pour que l’eau parvienne jusqu’à leur lopin respectif et puisse irriguer tous les champs. Pendant quelques pages, on ne sait trop si les deux clans vont se déclarer ouvertement la guerre ou si Manuel va réussir à fédérer autour de son projet. Malheureusement pour lui, il va trouver en Gervilen un compère récalcitrant : ce dernier l’a surpris contre les lèvres d’Annaïse ; depuis lors, il rumine sa jalousie en silence. Une nuit, au détour d’un chemin, il tue Manuel.
Pour ne pas menacer la récente cohésion du groupe, Délira taira le meurtre de son fils, laissant croire à une mort brutale due à quelque fièvre ramenée de Cuba. Quant à Annaïse, à qui Manuel avait révélé sa découverte, elle n’aura guère qu’à conduire les hommes à la source et veiller sur cette vie qui grandit déjà dans son ventre.
Un tel roman a de quoi surprendre : une sensiblerie parfois mièvre y côtoie un authentique engagement politique. Au-delà du plaisir que l’on a à suivre l’intrigue jusqu’au coup de théâtre et à accompagner Manuel dans sa quête, c’est la langue qui séduit, capable aussi bien d’élans poétiques que de dialogues en patois local, probablement en créole, à moins qu’il ne s’agisse de créations lexicales que l’on pourrait croire échappées de la plume de Queneau : « par icitte », où sévit « une saison malédictionnée », « la moindre contrariaison » pèse plus qu’ailleurs elle rappelle ce destin qui accable les hommes.

Gouverneurs
de la rosée

Jacques Roumain
Le Temps des Cerises
208 pages, 15

Retour aux sources Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.