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Zoom Le territoire des mots

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Sophie Deltin

Dans un recueil achevé deux jours avant sa mort, Mohammed Dib, le maître de la littérature algérienne de langue française, déploie une ultime fois sa prodigieuse liberté d’invention.

Tour à tour romancier, nouvelliste, poète, dramaturge et conteur, Mohammed Dib (1920-2003) appartient à cette génération d’écrivains qui ont fait naître l’Algérie à son existence littéraire. L’auteur de la trilogie (La Grande Maison, 1952, L’Incendie, 1954, Le Métier à tisser, 1957) qui immortalisa l’Algérie rurale des années 1930, est aussi celui qui de Neiges de marbre à L’Infante maure a réussi, depuis ses multiples terres d’exil, à transcender son identité en expérimentant l’altérité.
Sous forme de testament, ce recueil de quatre textes affiche une cohérence plutôt saugrenue : deux nouvelles, un autoportrait et des mémoires d’enfance. Comme il l’avait déjà montré dans Simorgh (Albin Michel, 2003), Mohammed Dib se joue des genres littéraires, une façon sans doute de figurer une vie fragmentée par la brisure et le sentiment d’étrangeté. Dans « Laëzza », il démontre une fois de plus son étonnante capacité d’innovation l’héroïne, « un top model qui porte des piercings et qui drague les hommes », en même temps que l’audace de son style, ici dévergondé par l’argot. Mais des dérives de cette créature superbement belle dans le milieu branché de la mode, que retiendra-t-on sinon la suavité orientale de son prénom, l’échec du couple qu’elle essaie de former avec Bob, ou encore « le mystère qui fait l’opacité aveuglante de l’être humain » ? Amour, incommunicabilité et irrémédiable solitude… on n’en finit pas d’interroger les phrases toujours exigeantes de Dib, tout comme celles de l’autre nouvelle « El Condor pasa », où le narrateur s’accroche à cette seule et obscure certitude : « Je ne suis qu’une question, le puits où l’homme, indécrottable bestiau, s’en vient chercher la vérité qu’il a perdue ». Placé en miroir à la fin du recueil, c’est bien plutôt l’enfance que vient convoquer avec une émotion à peine voilée le récit sur les « rencontres » décisives dans l’avènement de l’écrivain à lui-même : un médecin grec, un instituteur français, un ami d’école et enfin son beau-père. Ressuscitant l’enfant de Tlemcen, sourcier de l’adulte qu’il est devenu, l’écriture de Dib vibre de cette gratitude propre à ceux qui voient soudainement clair dans leur parcours.
C’est enfin la souffrance et l’exil qui se dégagent de l’« Autoportrait ». Dans cette réflexion de la maturité, où se côtoient humour et esprit de transgression, l’écrivain choisit l’esthétique du fragment la maxime et l’aphorisme afin de faire parler les images et les fragrances de son enfance (la description envoûtante du patio des maisons mauresques), de revisiter ses géographies intimes, qu’elles soient mentales (États-Unis, Finlande) ou littéraires (Tolstoï, Faulkner), et de soulever, par-delà l’irréparable de la perte, la question de la langue de l’écriture.
Car si l’Algérie, son pays duquel dès 1959 et en raison de ses activités militantes il fut expulsé par la police coloniale, n’a cessé de pétrir la vie et l’œuvre entière de Mohammed Dib, l’écrivain a su convertir son attachement viscéral à la terre natale ce « sol inaliénable » en terreau poétique fécond, inlassablement labouré par le soc de la douleur et de la nostalgie : « A l’origine d’une œuvre romanesque, il y a une nostalgie qui vous poigne » confie celui qui n’en a pas moins toujours souffert « d’être réduit à son identité, (…) comme si être algérien, maghrébin, vous minorait tout en vous obligeant à ne parler que de ça » remarque justement son éditrice Claire Delannoy. En réalité, l’univers éminemment personnel de Dib a tôt fait d’acquérir l’accent et la force de l’universel, et cette sublimation de la perte par la fertilisation de l’écriture, encore aura-t-il fallu la réaliser dans une langue que Dib a toujours considérée comme « extérieure » plutôt qu’« étrangère » : « J’ai fait mon lit dans la langue française ; ce n’est précisément pas un lit de roses. Un lit de roses, rien que cela ! Un Algérien habitué à dormir à la dure n’en demande pas tant. »
Dans cet autoportrait d’une lucidité éblouissante, la liberté de ton sait aussi se faire plus radicale, cinglante même, dès lors qu’il s’agit d’évoquer le sort des Algériens à eux-mêmes : « Les Algériens, à l’époque coloniale, leurs pères n’étaient pas leurs vrais pères, mais seulement les engrosseurs de leurs mères. Le Français détenteur de l’autorité était le vrai père. Depuis l’indépendance, les choses ne se sont pas améliorées, elles ont plutôt empiré. Ceux de la nouvelle génération (…) se comportent comme des orphelins de mère aussi, des fils de personne. »
De celui qui invoquait la « nécessité de sommation, d’apostrophe » de la littérature, on ne s’étonnera donc pas de ces critiques sans concession. Dans la même veine, ce pressentiment à l’écho posthume troublant : « L’heure sonnera pour nous, écrivains algériens de langue française, quant à savoir qui recevra notre héritage après notre disparition physique. Une sacrée ambiguïté sera alors levée. A franchement parler, je ne vois pas la France prenant en charge un legs pareil. Mais l’Algérie ? Elle, l’Algérie, n’a jamais assuré un legs culturel. Elle compte parmi cette catégorie de nations anhistoriques, exonérées de mémoire. Au fur et à mesure que son passé advenait, les sables de son désert soufflaient dessus. (…) Et nous écrivains et temples de l’inutile souvenir, je nous vois bien réduits à veiller pour l’éternité sur ce désert. »

LaEzza
Mohammed Dib
Albin Michel
200 pages, 15

Le territoire des mots Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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