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Domaine français Butor en Montaigne

juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74 | par Didier Garcia

Sartre voyait en lui le premier grand écrivain depuis 1945 ; ces deux volumes d’Œuvres complètes présentent un auteur se jouant des genres littéraires pour trouver sa voix. Rencontre avec un corpus titanesque.

Romans vol. 1 : œuvres complètes

En 1955, dans L’Espace littéraire, Maurice Blanchot constate que « les genres littéraires n’ont plus de signification véritable » ; quatre ans plus tard, Le Livre à venir se donne des accents franchement prophétiques, prédisant à la littérature un avenir « loin des genres, en dehors de rubriques prose, poésie, roman ».
L’œuvre de Michel Butor lui apporte aujourd’hui une éloquente confirmation.
Prenez ce Répertoire 1, qui réunit ses essais publiés entre 1960 et 1968 (les trois premiers volumes de Répertoire, son Histoire extraordinaire examinant l’œuvre de Baudelaire et ses Essais sur les Essais de Montaigne). Aucun doute, on se trouve bien sur le versant essai, ou critique, de l’œuvre de Butor (le premier Répertoire reçoit d’ailleurs le Prix de la Critique littéraire en 1960). Et pourtant, on constate rapidement que Butor est un essayiste d’un genre quand même particulier.
Premier sujet d’étonnement : il n’y développe pas de thèse, ne travaillant pas sur un sujet unique dont il entreprendrait de faire le tour. La manière de Butor, c’est le recueil, la réunion après coup de textes publiés séparément, le plus souvent en revues. Chaque volume de Répertoire collige ainsi 21 articles, ou pour dire vrai il les agence, Butor s’y refusant au seul classement chronologique. Donc pas de thèse univoque (que chaque nouveau volume viendrait conforter), mais une pensée qui pense large, requise tour à tour par l’archéologie, la musique, la peinture, l’actualité (la déclaration dite « des 121 » face à la guerre d’Algérie), capable de se pencher sur l’œuvre de Joyce, sur celle de Jules Verne, et d’explorer l’univers des fées (sa bibliothèque prend des allures encyclopédiques). Ce qui guide de tels choix : le hasard des lectures, mais surtout l’enthousiasme, lequel s’avère rapidement contagieux. Sans doute éprouverez-vous le désir de lire ou relire Verne, Joyce, Balzac ; peut-être même aurez-vous l’impression de les avoir mal lus, ou de n’avoir pas su les lire.
À André Clavel, qui lui demandait de s’expliquer sur le titre générique Répertoire, Butor répondait : « Un violoniste possède son répertoire ; moi, j’avais aussi le mien : les auteurs sur lesquels j’étais rodé, et dont je parlais dans mes conférences ». Au panthéon de Butor figurent Baudelaire, qui lui inspire une Histoire extraordinaire sous-titrée « Essai sur un rêve de Baudelaire », et Montaigne (c’est son modèle, autrement dit celui qu’il cherche à imiter : avec ses cinq volumes de Répertoire, Butor donne 105 articles, soit exactement un article de moins que le nombre d’Essais publiés par Montaigne l’élégance impose de ne pas dépasser son modèle).
Deuxième surprise, qui pour le coup décontenance le lecteur : pas de notes dans ces articles, et très peu de citations explicitées (Butor n’abandonne aucune référence paginale pour les exemples qu’il prélève dans une œuvre). Évidemment, c’est délibéré : dans Curriculum vitæ, évoquant Histoire extraordinaire, Butor déclare s’être installé « en dehors de tout le cursus universitaire, avec ses notes et ses discussions interminables ». Et il est vrai que sans appels de note, son texte se lit comme un roman, ou comme un ensemble de variations sur un thème, mais le lecteur se retrouve livré à lui-même, contraint par la force des choses à reprendre les textes explorés.
« On ne peut pas me définir simplement ? Tant mieux ! Cela n’est un inconvénient que pour les critiques pressés qui (…) ne détestent rien tant qu’être obligés de recommencer à lire (…) »
Troisième surprise : les deux volumes Histoire extraordinaire et Essais sur les Essais, qui se situent au plus loin des canons critiques. Dans le premier, Butor part d’une lettre que Baudelaire a adressée à son ami Charles Asselineau, et dans laquelle il lui relate un rêve extravagant. Il y prélève ensuite des motifs avec lesquels il se lance dans une exploration minutieuse de son œuvre, la passant au crible de 16 chapitres eux-mêmes découpés en plusieurs sections brèves. Quant au second, il s’agit d’un recueil de préfaces rédigées à l’occasion d’une réédition des Essais de Montaigne. Selon Butor lui-même, c’est un livre « construit pour égarer ». Et pourtant (il s’agit d’ailleurs là d’un véritable tour de force), le lecteur qui ignorerait l’origine de ces textes aurait malgré tout le sentiment de lire un volume et non une compilation de préfaces.
Avec le volume de romans (qui constitue quant à lui une somme romanesque, du Passage de Milan à Intervalle), le lecteur ira encore d’étonnement en étonnement, même s’il est a priori davantage préparé par la notoriété de La Modification, ce roman écrit à la deuxième personne du pluriel, couronné par le Prix Renaudot en 1957. Ce sont des romans dans lesquels la structure importe plus que l’intrigue. Degrés (1960), par exemple, répond à « une organisation de cubes », « cubes posés les uns sur les autres » (Butor était alors fasciné par l’œuvre picturale de Mondrian). L’Emploi du temps (1956) présente une architecture particulièrement raffinée : tout le roman est construit « comme un canon, un canon au sens musical, un immense canon temporel ». La critique s’est empressée de faire de Butor un Robbe-Grillet réussi et de voir en lui un des tenants du Nouveau Roman (ce à quoi Roland Barthes en 1958 apporta un brillant démenti dans son article « Il n’y a pas d’école Robbe-Grillet ») ; ces prouesses romanesques (Passage de Milan présente douze heures de vie dans un bâtiment, La Modification tient sur moins de 24 heures) ne valent pas que par leur formalisme…
En 1962, au début d’un entretien, le collectif Tel Quel constate que l’activité littéraire de Butor empêche de le classer simplement. Belle occasion de réjouissance pour l’écrivain : « On ne peut pas me définir simplement ? Tant mieux ! Cela n’est un inconvénient que pour les critiques pressés qui aiment bien les étiquettes, et ne détestent rien tant qu’être obligés de recommencer à lire, à travailler, à réfléchir pour une œuvre nouvelle d’un auteur qu’ils croyaient casé ». Pour cerner sa singularité, le critique doit en effet recourir à des périphrases lourdes en hyperboles : « l’explorateur des possibilités totales de la littérature », « l’athlète complet de notre littérature » (mais il est vrai que son œuvre a quelque chose de titanesque : en comptant tous ses livres d’artistes, on approche la barre des 1400 volumes publiés !). Et même le livre, chez lui, n’est pas toujours strictement un livre : U.S.A. 76, par exemple, est un coffret, réalisé en collaboration avec le peintre Jacques Monory, qui accueille aussi bien textes qu’objets.
Ce ne sont sans doute pas les volumes de ses Œuvres complètes (11 ont initialement été prévus, et deux sont à paraître en octobre cette année : Répertoire 2 et Poésie 1) qui aideront le lecteur à s’y retrouver. Butor poète, Butor romancier, Butor critique : c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Ou c’est tout un. Quand il se choisit une casquette (et depuis 1999 il a décidé de ne plus garder que celle de poète), c’est pour la mettre à l’envers, ou sur le côté, autrement dit jamais exactement comme il faut. Rien de plus urgent semble-t-il pour Butor que d’éviter la norme. Toute son œuvre le rappelle : la littérature s’écrit en réaction contre les genres. Ou si l’on préfère : dans leurs marges. Là où la singularité de l’écrivain trouve vraiment à s’exprimer.

* Du même auteur paraissent deux livres de poésie, Seize lustres (Gallimard) et Octogénaire (Éditions des Vanneaux), et un Dialogue avec Rembrandt van Rijn sur Samson et Dalila (Abstème & Bobance éditeurs). Également, du 20 juin au 27 août, la BNF présente une exposition « Michel Butor. L’écriture nomade ».

Œuvres complètes
I Romans,
II Répertoire 1

Michel Butor
La Différence
1272 et 1080 pages,
49 chaque volume

Butor en Montaigne Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°74 , juin 2006.
LMDA PDF n°74
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