À lire la biographie de Voiculescu que propose Nicolae Tafta, le lecteur comprend qu’il a affaire à une personnalité profondément originale, dans l’existence prolifique de laquelle l’écriture romanesque n’a été qu’une des multiples pistes. Né en 1884, issu d’une famille rurale aisée, cet auteur a été médecin il a exercé de nombreuses années, notamment dans les campagnes. Passionné par les sciences « pures », il l’a été aussi par les sciences occultes et le bouddhisme ; poète, il a été prosateur, puis dramaturge, et dans les années 30, homme de radio animant des émissions littéraires. À la fin de sa vie il subit quatre ans d’emprisonnement par le Parti communiste, accusé d’avoir écrit des poèmes contre le régime. Il sera par la suite réhabilité.
Les trois nouvelles du recueil ont des thématiques voisines : de l’une à l’autre nous retrouvons l’importance capitale de la Nature et de ses mystères, une Nature pure et sans hommes, comme l’explique un des narrateurs : « où nous étions, je ne saurais le dire. Mais là où nous nous arrêtâmes, régnaient un désert et un silence de planète morte. Le paysage semblait encore plus fantastique sous la lumière éblouissante de la lune qui nous inondait, nous isolant et nous éloignant encore plus du monde. » Dessinant une Roumanie rurale imprégnée de croyances et de rites ancestraux, sensible à la magie, Voiculescu reprend d’anciens mythes, comme celui de la lycanthropie, dont il fait un des thèmes principaux de « Au milieu des loups » et « L’Ermite ». Son style, classique, épouse les contours de structures narratives elles-mêmes sans surprise : les textes oscillent entre le conte et la nouvelle fantastique.
La nouvelle la plus intéressante est peut-être « L’Ermite ». Au sein d’un monastère niché dans la montagne, et au milieu de prêtres un peu laborieux, le père Sophonie « toujours debout, en pleine forme et intransigeant… tel un athlète du seigneur », détonne par sa résistance physique, son mysticisme ardent, et sa personnalité énigmatique. Voiculescu décrit de manière saisissante cet être entièrement voué à sa foi, « en train de prier, affreusement recroquevillé, comme parti dans un autre monde, sourd et aveugle à tout, ses sens anéantis. » Seul capable de soutenir un tel régime, il vit à l’écart, priant et ne sortant que pour les veillées et les messes. Or, des loups s’attaquent régulièrement à la bergerie du monastère. Sophonie, par sa présence, parvenait à les faire fuir, grâce aux mystérieux pouvoirs dont il a fait preuve depuis l’enfance ; mais il a demandé à partir vivre en ermite, dans la montagne. Pendant ce temps, les loups se déchaînent. À bout de stratagèmes et de forces, les prêtres s’adressent à un sorcier : celui-ci leur annonce que la bête est en réalité un loup-garou…
La beauté de la nouvelle réside essentiellement dans son personnage principal, ce père Sophonie, solitaire et fascinant, grand mystique, homme marqué par une sorte de malédiction. Devenu l’ermite Antonie, il meurt en emportant les secrets de sa personnalité, incompris de tous. L’histoire est à cet égard d’une intéressante ambiguïté : ce mysticisme qui porte Sophonie et qui en fait un être d’exception, l’a dans le même temps définitivement isolé. Voiculescu donne à cette figure hautement spirituelle une dimension noire, sauvage et incompréhensible. Derrière le récit fantastique, c’est, dans cette nouvelle comme dans les deux précédentes, le rapport que l’homme entretient avec ses croyances qu’il soulève. Ce faisant il nous met en garde contre la sécheresse et la pauvreté d’un certain rationalisme. Mais loin de la bigoterie ou d’un ésotérisme fumeux, ces textes nous plongent dans un univers aux couleurs sombres, où l’homme se débat contre les éléments mais aussi contre sa propre nature.
Au milieu
des loups
Vasile Voiculescu
Traduit du roumain
par Nicolae Tafta
Éditions Hesse
121 pages, 14 €
Domaine étranger L’heure du loup
juin 2006 | Le Matricule des Anges n°74
| par
Delphine Descaves
Dans trois nouvelles envoûtantes, Vasile Voiculescu (1884-1963) explore les mythes populaires roumains et sonde l’obscure nature des hommes.
Un livre
L’heure du loup
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°74
, juin 2006.