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Des plans sur la moquette Mes sirènes convalescentes

octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77 | par Jacques Serena

À tout bout de champ, ces derniers temps, les autorités sont saisies pour mettre fin à l’exercice d’un guérisseur, ou d’une extralucide, ou d’un gourou, chez qui de plus en plus de gens affluaient. Ravis, les gens, à les entendre, ils allaient mieux, voyaient plus clair, sortaient des limbes. En extase, certains, on aurait dit. Extase, à entendre dans le sens fort : hors de situation.
Les autorités accusent ces séducteurs de foule de pratique illégale de la médecine, de pratique illégale de la foi, ces chasses gardées des médecins homologués et du clergé officiel. Soins ordinaires et foi ordinaire, pas à sortir de là, qu’on se le dise.
Ce qui, de fil en aiguille, me fait penser au temps où, dans une autre vie, j’ai été aide-soignant dans un centre de cure. On m’en a renvoyé parce que j’avais pris des photos d’une dizaine de convalescentes nues. Le fait qu’elles étaient toutes non seulement consentantes mais avaient elles-mêmes insisté pour récidiver n’a pas plaidé en ma faveur, au contraire. On m’a accusé d’avoir raconté à toutes que j’allais publier un recueil de poèmes sur le thème des sirènes illustré de photos, d’avoir dit à chacune qu’elle incarnait pour moi la sirène idéale. Le fait est que c’était ce que je leur avais dit, à toutes, mais le fait est aussi qu’avant que je le leur dise, elles étaient faibles et maussades dans leur lit, et qu’après les séances de photos elles étaient vives et illuminées, et avaient alors réellement en elles quelque chose de mythologique.
On m’a accusé de n’avoir pas été sincère. Je n’ai pas pu leur faire entendre que, quand on déclare à une fille qu’on rêve de la voir nue, quand bien même ce ne serait pas cent pour cent vrai au moment où on le dit, l’exaltation que cela produit est, elle, cent pour cent vraie. Alors, même si, au départ, les mots ne sont pas vrais, ils le deviennent finalement. Toujours du vrai dans le faux, et vice-versa. Quel scoop, me dira-t-on. De toute façon, quand un homme parle à une fille, il est impossible d’échapper à ces corrélations.
Mes convalescentes allaient donc mieux et voulaient toutes continuer, mais, évidemment, mon moyen n’était pas ordinaire. Ce qui revient à dire que ces filles, comme ces gens dont je parle plus haut, avaient besoin, dans leur vie, d’extraordinaire. D’« extra-ordinaire », en deux mots, on l’entend mieux. Dans leur vie où aujourd’hui filles et gens ne se voient plus proposer que de l’ordinaire, dans tous les domaines, au mieux des choix entre deux façons peu différentes de gérer le même ordinaire. Ce qui, comme on sait, les attire de moins en moins.
Même en littérature, si on y pense, moins qu’ailleurs mais quand même, dans ce domaine où, en principe, il n’y a pas d’exercice illégal, où celui qui parvient à toucher d’une façon inusitée les gens est salué par ses pairs, il y a toujours les vieux gardes-barrière pour y aller de leur billet d’humeur où ils râlent que ce n’est plus de la vraie littérature, plus du vrai roman, plus de la vraie poésie. Un peu comme ceux qui enragent quand mes camarades et moi parlons de ce qui se joue dans nos ateliers d’écriture, des gens qui s’y pressent et du bien qu’ils en retirent, ceux qui nous accusent de jouer avec le feu, de faire de la psychothérapie sauvage.
Il y a toujours eu des êtres venant tenter des méthodes inusitées, qui ont attiré les gens, parce que ce qu’ils proposaient répondait à un besoin, à un manque, et il y a toujours eu les légions de gardes-barrière, maussades et opiniâtres dans leur lutte contre ce qu’ils ne reconnaissent pas, des hommes qui attendront la première erreur du magnétiseur, de l’extralucide, du gourou, du poète, du romancier, ou même de l’animateur d’atelier, et quand l’erreur, un jour, inévitablement, se produira, ils seront là, en attente, tristes de ne pas avoir vécu l’extase, insatisfaits de leur insensibilité mais là, implacables.
N’empêche que. Si les gens sont venus en si grand nombre, à ces êtres et pratiques non homologués, s’ils ont eu, tous ces gens, tellement besoin de ceux-là, que l’on condamne, c’est que les autorités qui gèrent cette société y ont certainement oublié quelque chose.
Le plus important n’est pas tant d’empêcher d’exercer tel ou tel être, d’interdire telle ou telle pratique non reconnue, mais de se demander comment redeviendra la vie après. Ce par quoi les autorités vont les remplacer. Et ils feraient bien de se dépêcher d’y penser parce que le temps presse et, faute de rien, les gens vont ressentir en eux un manque. Manque qui pourrait leur faire prendre conscience que ces êtres inaccoutumés et ce qu’ils leur apportaient avait peur eux de l’importance.

Mes sirènes convalescentes Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°77 , octobre 2006.
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