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Intemporels Revue de troupes

octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77 | par Didier Garcia

Ce roman délirant de l’écrivain américain Joseph Heller observe à la loupe des soldats malmenés par la guerre. Entre satire et épopée.

Que fait l’homme en temps de guerre ? Quand il n’écrit pas ses Carnets, il se morfond, en attendant des jours meilleurs. À l’occasion, il prie. Mais le soldat ? Que fait le soldat quand les événements l’appellent sur le terrain ? Avant Joseph Heller (1923-1999), jamais la littérature ne s’était penchée sur la question. Jamais avec une telle application. Avec un tel souci d’exhaustivité. Osons le dire : Catch 22, son premier roman, en vient même à bout. Pour épuiser son sujet, il lui a fallu huit ans. Des années qui n’auront pas été vaines : en est sorti ce roman magistral, qui sent la bombe, la satire et le sang.
Pour étudier le soldat dans son milieu naturel, à savoir la guerre, et en l’occurrence celle de 1939-1945, Heller n’a rien laissé au hasard : il a d’abord inventé une île, Pianosa, qu’il a perdue en pleine Méditerranée (rien de mieux qu’un microcosme pour l’observation du vivant) ; puis il y a installé plusieurs escadrilles américaines dont il expose minutieusement les faits et gestes sur une quarantaine de chapitres. Et le lecteur y va de surprise en surprise.
Il y découvre que les soldats peuvent se réjouir de la guerre (le lieutenant Scheisskopf est de ceux-là : elle lui donne l’occasion de porter l’uniforme d’officier). Certains avouent même n’avoir jamais rien vécu d’aussi palpitant, et redoutent la fin prématurée de leurs aventures, pendant que d’autres, profitant de la confusion, s’emploient à se rendre la guerre rentable. Naturellement, il s’en trouve qui ne songent qu’à remplir leurs obligations, poussant le zèle jusqu’à se faire tuer en mission, quand ils ne s’infligent pas une fin héroïque (comme ce soldat déchiqueté par l’hélice d’un avion pour avoir levé les bras sur un radeau). Et s’il faut en croire Heller (et pourquoi diable ne le croirait-on pas, lui qui fut bombardier sur un B-22), certains se font un malin plaisir à « disparaître d’autres », même si c’est grammaticalement incorrect (ce qui prouve que l’armée, en temps de guerre, n’a que faire de la grammaire).
Mais la majorité des soldats se range quand même derrière Yossarian, l’antihéros exemplaire de ce roman. Ce qu’il aimerait, lui, c’est passer le reste de la guerre à l’hôpital. Bien planqué. Dans le fond, on ne saurait lui donner tort : « en dehors de l’hôpital la guerre continuait de faire rage. Des hommes devenaient fous et recevaient des médailles en récompense ». Contrairement aux autres, Yossarian a le bon sens pour lui : « des étrangers qu’il ne connaissait même pas le canardaient chaque fois qu’il s’élevait dans les airs pour les arroser de bombes, et ça n’était pas drôle du tout ». Pire encore : ce n’est pas raisonnable. À quoi bon aller au-devant des ennuis dans un avion, fût-ce un bombardier, puisque les ennuis viennent tous seuls ?
Reste qu’il existe un ennemi plus insidieux que les batteries de la DCA allemande. Un ennemi qui contrarie tous les plans de Yossarian, et qui l’empêche d’être rapatrié en Amérique : l’article 22, contre lequel on ne peut rien. Une « sacrée entourloupette » qui donne le droit de faire tout ce que nul ne peut empêcher de faire, que l’on brandit dès qu’un soldat tente de se faire passer pour fou afin d’échapper aux missions, et qui stipule que « quiconque veut se faire dispenser des obligations d’aller au feu n’est pas réellement cinglé » (c’est le bon sens qui parle : seul le fou authentique acceptera d’aller se faire tuer). Yossarian en vient ainsi à affirmer que l’ennemi, « c’est quiconque t’envoie à la mort, de n’importe quel côté qu’il soit ». Un beau jour, un psychiatre clairvoyant le déclarera incapable de s’adapter à l’idée de guerre parce qu’il éprouve une répugnance morbide à mourir. Et puisque « l’Histoire n’exigeait pas la fin prématurée de Yossarian », il survivra. À tout. Donc au pire.
Il faut le dire, Yossarian n’est pas le seul à voir la guerre d’un mauvais œil. Prenez Doc Daneeka, qui se lamente lui aussi. Au moment où il allait enfin gagner sa vie, s’assurer une clientèle, certains n’ont rien trouvé de mieux que d’inventer le fascisme. À l’écouter se plaindre, on comprend que cette guerre tombait mal.
Elle parvint surtout à troubler les esprits, et à transformer de vaillants soldats en joyeux frappadingues. Qu’est-ce qui pousse soudain le Major Major à signer des documents officiels du nom de Washington Irving ? Pourquoi tel autre, hypocondriaque sur les bords, passe son temps libre à classer par ordre alphabétique les maladies mortelles qui pourraient s’abattre sur lui ? Pourquoi tel général augmente-t-il inlassablement le nombre des missions ? La folie. Une folie dont chacun fait l’expérience. Lecteur compris.
À chaque page, Catch 22 rappelle que « la guerre, c’est l’enfer ». Mieux encore : il le démontre. Et avec la manière : avec ce qu’il faut d’inélégance, d’humour noir, d’ironie, et de plume. Car ce roman-là, ou plutôt cette épopée, n’est pas seulement dense, pas seulement drôle, pas seulement folle : c’est un monument littéraire. De ceux qu’il faut garder près de soi, quelque part entre Rabelais et Céline.

Catch 22
Joseph Heller
Traduit de l’anglais par Brice Matthieussent
Le Livre de poche
640 pages, 8

Revue de troupes Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°77 , octobre 2006.
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