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Domaine étranger Un portrait clair-obscur

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Marta Krol

Étrangère à tout parti pris, obstinée et sensible au détail matériel, la prose de Julian Kawalec travaille patiemment nos résistances.

L' Épervier qui danse

Dans ce livre difficilement qualifiable de roman, qui repose sur un canevas déjà moult fois exploité la progression sociale d’un pauvre ambitieux tout est connu d’avance, et le narrateur rappelle inlassablement les éléments dont l’oubli pourrait amener à une lecture curieuse du dénouement. Pour ne rien abandonner au suspens, l’histoire commence par sa fin : l’enterrement du protagoniste, Michal Toporny. Puis, très vite, toutes les cartes sont découvertes : ce dernier, né en 1914 dans un miséreux village polonais, meurt cinquante ans plus tard en tant que directeur « d’un important groupe minier ». Pour ce faire, il aura brutalement changé de peau, en quittant sa maison, sa première femme et son enfant, et en mariant une bourgeoise dont il aura un autre fils et qui, lassée, le quittera le jour de sa promotion au poste de PDG.
Certes, la technique du flash-back n’entrave pas a priori l’intérêt pour l’intrigue ; encore faut-il que l’illusion romanesque efface momentanément l’issue déjà dévoilée. Or, l’illusion de la fiction ne préoccupe aucunement Julian Kawalec. Systématiquement, l’instance du narrateur vient briser l’embryon de la confiance dont le lecteur commençait à le créditer. Parce que le temps traditionnel et rassurant du récit (« il naquit un jour pluvieux… ») est contrecarré par le discours direct que le narrateur adresse à son personnage (« toi, Michal Toporny ») et par le mode méta-descriptif qui sert au narrateur d’indiquer ses propres intentions : « il faut chercher les causes qui l’ont poussé à quitter la maison ». Non, ici on ne se raconte pas d’histoires. Mais on tente de brosser le portrait d’un homme, un précis, profond et juste portrait dans lequel de larges zones de flou traduisent l’irréductible incertitude qu’un individu aura toujours au sujet d’un autre, à condition de ne pas confondre jugements et faits, voire faits et intentions. Ce portrait émerge de l’épaisseur d’une vie, elle-même fatalement plongée dans son époque, et pas n’importe laquelle : le nom communisme ne se matérialise jamais dans cette prose aussi subtile que grave.
Kawalec entraîne le lecteur toujours plus loin dans son livre par la seule force de son style, qu’on qualifierait bien de magnétique tant il appelle à être suivi, si ce n’était qu’il s’efforce précisément, loin de supercheries ou de réductionnisme, de toujours mettre à plat, analyser, connaître, et de penser. Cela avec une sobriété et élégance respectables, tout comme est respectable le travail du traducteur qui a su l’insigne doigtée se rendre transparent, si bien que le livre paraît écrit en français. Cette écriture est lente, incroyablement et volontairement lente, insistant sur sa matérialité par des reprises incessantes d’une même image ou séquence (comme « la terre qui tient lieu du plancher »), empreinte alors d’un condensé de signification que plusieurs phrases n’auraient pas suffi à libérer. Elle sait s’emparer du réel, et n’hésite pas à s’engager dans la concrétude dont la difficulté technique passe inaperçue de ce qui forme le quotidien d’un paysan en Silésie, comme la marche pieds nus sur les chaumes. Elle connaît des moments où la poésie affleure, si celle-ci est une manière de penser au rebours du langage. Et peut être crue, violente même, non pas dans le ton mais dans le propos, disant par exemple la « fierté dissimulée » avec laquelle le père de Michal portait au cimetière « les petits cercueils de ses enfants voraces ». Puis, les rafales de questions dont le narrateur mitraille de temps à autre son personnage sont aussi éloignées de complaisance que d’acharnement. Elles sont tentative de comprendre, et aussi, à l’écart de tout relativisme, de distinguer, sans jamais les nommer, le bien et le mal : ainsi, à la mode non pas de chez nous, l’aspect esthétique s’ouvre-t-il largement sur une dimension, excusez l’expression, éthique.

Marta Krol

L’Épervier qui danse
Julian Kawalec
Traduit du polonais par Charles Zaremba
Les Allusifs, 252 pages, 19

Un portrait clair-obscur Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.
LMDA PDF n°79
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