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Arts et lettres Voir, mais jusqu’où ?

mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83 | par Richard Blin

D’une autre nature que les scandales dans l’art, que disent les « images honteuses » ? Relèvent-elles d’une émotion spécifique ou sont-elles une manière de faire face à l’impossible ? En tout cas leur histoire s’écrit souvent en lettres de sang.

Le Scandale dans l’art

Rougir de honte, l’expression dit combien ce sentiment relève d’une blessure. Narcissique, essentiellement, et publique. Est soudain donné à voir aux autres ce qui aurait dû rester caché dans l’espace de l’intime. Une frontière a été violée : le sang, la mort on dit « mourir de honte » ne sont pas loin. On pourrait donc dire que ce que dévoilent ces fenêtres qu’on ouvre, en transgressant un interdit, sont des « images honteuses ». C’est dire aussi combien elles dépendent de l’idée qu’on se fait de l’interdit le « on » représentant tout autant l’auteur de l’image que le spectateur, puisque, depuis Merleau-Ponty, nul n’ignore qu’on n’est jamais devant un tableau ou une image, mais dedans.
L’histoire de l’art regorge de scandales, ce qui semble assez normal puisque le moins qu’on puisse attendre d’un artiste, est qu’il dérange l’ordre établi, les habitudes visuelles, la continuité rassurante de la tradition, ainsi que le souligne Pierre Cabanne dans son introduction au Scandale de l’art, le premier volume d’une nouvelle collection, « Matière d’images », lancée par les éditions de La Différence. Distinguant deux formes de scandale l’interne, qui concerne les procédés techniques ou les révolutions stylistiques, et l’externe, qui choque ou révolte les spectateurs, l’État, l’Église, P. Cabanne revisite depuis Masaccio, qui révolutionna le style d’église, et Le Caravage, qui mit le peuple sur les autels, en passant par Le Saint-Vierge de Michel Journiac ou le pape écrasé par une météorite de Maurizio Cattelan six siècles d’art, pour esquisser, au fil des différents scandales qui les marquèrent, une réflexion riche de perspectives sur l’évolution de l’idée qu’une société se fait de l’art, le scandale étant aujourd’hui à la portée de la moindre publicité. Richement illustré, véritable catalogue des licences et des orgies du pinceau de Fragonard et Courbet jusqu’à Dada, Dali et Y. Klein l’ouvrage, qui est aussi le dernier de Pierre Cabanne, décédé en janvier dernier, constitue une sorte d’entrée en matière idéale pour aborder la lecture des Images honteuses, un ouvrage collectif publié dans la remarquable collection « L’Or d’Atalante », chez Champ Vallon.
Sous la direction de Murielle Gagnebin et Julien Milly, 27 intervenants chercheurs en esthétique ou sciences de l’art, psychanalystes, écrivains ont été invités à réfléchir aux multiples manifestations plastiques ou expressions artistiques de la honte. Images ou représentations montrant directement la honte ou enclines à faire honte, monstration de l’infâme, littérature de l’abominable, excès mortifères, le champ est vaste, qui va de la pudeur et du traitement pictural des parties honteuses jusqu’aux snuff movies, ces films censés montrer « la réalité de scènes de mise à mort » dans un contexte pornographique. Six parties s’emploient à quadriller au mieux ce champ. La première s’intéresse aux images « éhontées », celles qui nient la honte, s’inscrivent dans une tradition, comme les représentations religieuses de la crucifixion, ou témoignent de l’horreur des camps d’extermination. N’est alors honteux que ce qu’elles dénoncent. Mais il en existe d’autres, beaucoup plus « perverses », comme celles des « super-héros crucifiés » de Wim Delvoye, par ailleurs créateur d’une « machine à faire la merde », ou les performances de l’actionniste viennois Hermann Nitsch, sacrifiant un agneau afin de déverser sang et entrailles sur un homme nu allongé dans l’attitude du supplicié ; ou encore les photographies d’Andres Serrano, dont le célèbre Piss Christ, montrant un crucifix trempé dans un flacon d’urine. Avec ces images nous entrons dans le domaine de l’irrévérence et de la dégradation, qu’explore Paul Ardenne, depuis les possibilités qu’offre le web de satisfaire nos pulsions voyeuristes et notre « démoniaque intime », jusqu’aux écritures culturelles de la douleur de vivre, en passant par le traitement de l’humain rapporté à ses déjections, et par « l’irrévérence calculée » qui est devenue un des ressorts ordinaires de l’esthétique contemporaine.
Dans une deuxième partie, c’est la culture de la honte, « pour le meilleur et pour le pire » qui est abordée à travers l’intime exposé et l’intime extorqué (par Gérard Wajcman). Il y montre combien, aujourd’hui, l’État, les institutions, la société, le rêve de transparence, autrement dit le pouvoir de l’Autre, menacent notre droit au secret. « Sans droit au secret, sans caché, pas de sujet qui pense, donc pas de sujet qui est ». Scrutant « les cercles de la honte » dans Salo ou les 120 jours de Sodome, de Pier Paolo Pasolini, Corinne Rondeau interroge la honte qui consiste à jouir de ce qu’on voit, « c’est-à-dire à ne pas renoncer à l’insupportable ». Un autre film, Les Harmonies Werckmeister du cinéaste hongrois Bela Tarr, fait l’objet de deux études, dont celle de Baptiste Debicki s’attachant à montrer en quoi ce film porte la marque d’une « ontologie de la honte », et même d’une « hontologie », à travers une passionnante réflexion sur le fait que « la honte n’est pas incompatible avec le beau, bien au contraire ». Ophir Levi, lui, examine la façon dont la Shoah irrigue clandestinement l’ensemble de nos représentations, littéralement minées qu’elles sont par l’effondrement de toutes les valeurs qui fondent « l’humain « . » Fêlure dans l’humain » provoquant « l’effondrement de l’humain lui-même ».
La troisième partie s’attache à « disséquer la honte », à traquer les mécanismes esthétiques et les jeux de mise à nu et de mise à mort, dans les toiles du Caravage ou dans les films de Fassbinder. Marie-Camille Bouchindomme s’y demande aussi qui, de La Madone del Parto, de Piero della Francesca, de L’Origine du monde, de Courbet et le L’Espoir de Gustav Klimt, qui, de ces trois femmes peintes, « hiératique, lascive ou effrontée », donne de son corps l’image la plus honteuse ? George Nivat, lui, dans « Images dégradantes, images rédimantes », aborde la possibilité d’illustrer les camps de la mort. « La figure de l’homme est-elle encore possible là où l’homme est déchet, viande sanguinolente, pantin déshumanisé, cendre dans un four, du rien ? » Une réflexion que poursuit Murielle Gagnebin, en se demandant ce qui peut bien se passer dans l’acte de voir, quand sont dépassées les frontières de la sublimation, quand, par exemple, on se trouve confronté à des fœtus, des embryons ou ces cadavres de condamnés à mort chinois tels que les découpe et les « plastine » Günther von Hagens avant de les livrer au regard de foules abusées par ces fausses anatomies.
Dans les parties suivantes, « Piéger la honte : jeux et déjeux » d’abord, Georges Banu étudie la façon dont l’esthétique du laid règne en maître sur la mise en scène allemande, « réfractaire à la sublimation par le beau ou à la sécurisation par le sens » et faisant du sale, du bas, du trash, l’expression d’un scepticisme radical. Toujours dans le domaine théâtral, c’est la question du suicide de trois héroïnes, et la façon dont « la scène se débarrasse de ses morts honteuses » (Hedda Gabler, Mademoiselle Julie et Lady Macbeth), qui interpellent Virginie Foloppe. Derniers domaines abordés, le rire et la honte dans le cinéma burlesque, et les passages à l’acte, l’ « agir criminel », Martine Edrosa pensant la clinique du tueur en série à partir de Winnicott, et Julien Milly décortiquant « la mort à l’image » dans le film de Haneke, Funny games.
Dans la dernière partie, « Passer outre la honte », Corinne Maury évoque les écrans de la mort, l’abattoir au cinéma, à travers les gestes cinématographiques diamétralement opposés de Georges Franju, dans Le sang de la bête, et celui de Thierry Knauff, dans Abattoirs. Enfin, Guivaine Rochedy, dissèque Nick’s movie, long métrage dans lequel Wim Wenders filme les derniers jours de son ami et cinéaste, Nicholas Ray, tandis que J.-P. et I. Kamieniak, au terme de leur analyse du phénomène snuff movie (snuff signifiant éteindre, moucher une chandelle, d’où expirer, mourir) soulignent les risques et les dangers « c’est la psyché elle-même qui encourt le risque d’explosion » entraînés par le fait de filmer l’être agonisant. Un ensemble donc, particulièrement riche et passionnant qui en dit long sur l’impasse dans laquelle se trouve engagée une partie de l’art contemporain, et sur ce que la plupart de ces images révèlent d’un réel malaise dans la sexualité et la jouissance.

Les Images honteuses
Collectif, sous la direction
de Murielle Gagnebin
et Julien Milly
Champ Vallon
448 pages, 29,50
Le Scandale dans l’art
Pierre Cabanne
La Différence
256 pages, 25

Voir, mais jusqu’où ? Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°83 , mai 2007.
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