Personne n’aime se voir affublé du nom de cochon. C’est pourtant le sort réservé à Eduardo Manet lorsque sa mère l’initia au Grand secret. Ses ancêtres juifs espagnols ayant préféré la conversion à l’exil ou au bûcher après la Reconquête de 1492, il s’avère être marrane. La révélation eut lieu en 1943 sur le Malecon, boulevard maritime bordant La Havane où mercantilisme yankee et rites vaudous se côtoyaient sans peine dans la rue du Péché. À 13 ans, Eduardo ouvre sur le monde des yeux qui rappellent ceux du jeune Pagnol. Les mêmes figures avec un oncle basque communiste et anticlérical qui se frotta un temps au séminaire « pour lutter contre la papauté de l’intérieur ». Une nourrice haïtienne plantureuse versée dans la sorcellerie, un père lointain et influent aux métiers improbables, une mère andalouse fantasque habitée par son secret transmis de mère en fille depuis cinq siècles. Son récit se mêle à celui de son fils qui apprend comment, jeune novia de 16 ans, elle tomba amoureuse de l’émissaire venu demander sa main au nom d’un autre. Le quadragénaire l’enlève sur son cheval blanc et l’emmène à Cuba où naît l’auteur dont on conçoit qu’il se soit cantonné au factuel dans un style un peu sec pour endiguer une telle profusion romanesque. En contrepoint, de plus en plus présent, l’éveil à son identité religieuse se fait, aidé par sa rencontre avec Esther la doctoresse qui lui met sa bibliothèque à disposition. Mais la femme se suicide après avoir assisté à une projection sur les camps de la mort. « Son mal venait de plus loin » commente l’auteur devenu français en 1979. Un mal qu’il essaie de soigner une fois adulte par une visite dans le quartier juif de Séville et à Jérusalem. Puis par un dernier chapitre en forme de prière œcuméniste aux allures de testament.
Marrane ! d’Eduardo Manet
Hugo & Cie, 239 pages, 15 €
Domaine français Un cochon dans la baie
juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84
| par
Françoise Monfort
Un livre
Un cochon dans la baie
Par
Françoise Monfort
Le Matricule des Anges n°84
, juin 2007.