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Domaine étranger L’étranger pernicieux

juin 2007 | Le Matricule des Anges n°84 | par Gilles Magniont

« Peut-être que le véritable roman, c’est ces lettres que je t’écris » : pour Allan Ginsberg, par William Burroughs, la relation fragmentée d’une âpre et drolatique odyssée.

L’image fin de siècle est restée : le plus fameux des vieillards underground, increvable silhouette toute de sédition hautaine. Cette correspondance nous ramène presque quarante ans en arrière, entre 1945 et 1959, lorsqu’il écrit plus de 150 lettres à Allan Ginsberg, qui font l’essentiel du volume. Leur relation amoureuse s’était nouée à New York, dans un appartement partagé avec Jack Kerouac, les trois hommes esquissant là l’espace de la Beat Generation. Burroughs allait pourtant faire cavalier seul : du Rio Grande où il s’était installé comme fermier, il partira pour l’Amérique du Sud, le Maroc, l’Europe… La correspondance dessine diverses lignes de fuite en 1951, s’essayant à reproduire le geste de Guillaume Tell, il tue accidentellement son épouse d’une balle en pleine tête tout en donnant à voir, comme on pouvait s’y attendre, de vastes étendues stupéfiantes. Burroughs erre de pharmacies mexicaines en cures de désintoxication, en même temps qu’il discerne un nouveau continent littéraire : les lettres ouvrent l’arrière-cuisine des récits autobiographiques premiers Junky et Queer, à la « méthode narrative conventionnelle » puis dévoilent la gestation des œuvres avant-gardistes, faites de visions, d’écritures automatiques et de collages.
« Ne remarques-tu pas que n’importe quelle décision législative opprimante et interventionniste (lois anti-armes à feu, anti-sexe, anti-défonce) est toujours soutenue par la presse « progressiste » ? Le mot progressiste désigne la plus diabolique tyrannie, une tyrannie pleurnicharde et pateline de bureaucrates, de travailleurs sociaux, de psychiatres et de représentants syndicaux. Le monde de 1984 n’est pas trente ans devant nous » : Burroughs se déplacera alors à rebours, comme pour remonter le temps. S’installant durablement dans les villes qui lui offrent la liberté du pionnier tel Mexico ou qui ne s’embarrassent pas de frontière voir le « superbe » chaos de Tanger, alors zone internationale, mais pressant le pas dans les cités policées, comme à Venise « manque de profondeur, de nuance et d’horreur » ou à Copenhague : « On joue beaucoup de jazz ici qui sonne incroyablement mort et fragile, loin de toute la tension et l’horreur qui l’a fait émerger ». Pas de guide du routard en vue : la facilité avec laquelle on obtient un port d’arme importe davantage que toute autre particularité locale.
Bien sûr, Burroughs peut effrayer : on espère parfois quelque inflexion coupable, qu’il pleure sa femme ou négocie l’une de ses chères libertés. Mais ce caractère irréductible, il faut le reconnaître, n’est pas celui d’un homme entouré. « J’en ai assez de voyager seul, de ne rencontrer personne qui s’intéresse à mes numéros et c’est la barbe sans toi » : l’absence a bien sûr pour nom Ginsberg, pour qui il écrit tant de lettres et qu’il voit si peu. Elle semble plus largement au cœur de chaque relation, à l’horizon de toutes les affections qu’il devine sans partage. Fait-il son numéro de séduction devant un parterre de jeunes Marocains, il n’en est pas moins au milieu d’un « désert de garçons superbes qui le regardent avec des yeux bruns et doux comme des cerfs étonnés » ; se donne-t-il « du mal » pour ses amis, ils le « rejettent comme un vampire qui essaie de les acheter avec un cadeau, de l’argent, des histoires ou des doigts coupés ». Rien de plus vibrant que ces pages où l’épistolier chante sur tous les tons ses solitudes exaspérées lui qui n’a même pas le bon goût de trouver l’apaisement : « Vous me rendez tous honteux avec votre amour et votre douceur bouddhiques, ballotté comme je suis par les vents de la violence et de la discorde… »
Cette tempête-là fait souvent sourire : comme l’écrit en introduction Oliver Harris, on retrouve ici un « phrasé traînant unique en son genre, qui mêle une intelligence de mandarin et un humour de mec à la coule ». Ainsi quand Burroughs se paye la tête des psychanalystes occupés à « soigner » l’homosexualité de ses amis « Bon Dieu tu crois vraiment que de sauter une femme transforme quelqu’un en hétérosexuel ? » ou celle des délicats Scandinaves : dans un monde parfait, ceux-là devront « passer une période d’essai stricte dans un quartier sordide (…) et s’abstenir de se laver pendant un an ». Ainsi, encore, chaque fois qu’il détaille avec gourmandise les effets de telle ou telle drogue, comme après sa découverte du « trip ultime » : le Yage « n’entraîne pas la montée chimique de la cocaïne, l’état atrocement sain de la came, le cauchemar légumineux du peyotl ou la déraison humoristique de l’herbe. C’est un viol insensé des sens (…). Imagine le directeur de la banque d’une petite ville changé en Négresse et se précipitant vers le quartier noir dans un état de transe absolue pour solliciter un Etalon Noir. Il ne pourra jamais regagner cette condition ridicule connue sous le nom de respect de soi ». On pourrait peut-être lire cette correspondance sous un angle picaresque, avec pour titres de chapitres : Où Burroughs, déclaré » étranger pernicieux « par les services de l’immigration, graisse la patte d’experts en balistique ; Comment Burroughs, dans une expédition, se fait passer pour un représentant de la Texas Oil Company, ce pour mieux goûter aux décoctions des sorciers colombiens ; et ainsi de suite. Au final, ce serait un roman parfois atroce et très humain.

Gilles Magniont

Lettres
William Burroughs
Traduit de l’anglais par Gérard-Georges Lemaire et Céline Leroy
Christian Bourgois
648 pages, 30

L’étranger pernicieux Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°84 , juin 2007.
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