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Intemporels Le lamento de Silone

octobre 2007 | Le Matricule des Anges n°87 | par Didier Garcia

Dans les années 1930, écrasé par l’Italie fasciste, un village des Abruzzes sombre dans la misère. Un roman bouleversant.

Bienvenue à Fontamara, village directement issu de l’imagination d’Ignazio Silone (1900-1978), mais comme il s’en fait sans doute beaucoup dans les Abruzzes, cette région montagneuse du centre de l’Italie, où l’auteur a vécu les vingt premières années de sa vie. Une région pauvre qui ne connaît pas une grande disparité sociale : les habitants y sont soit « cafoni » (paysans sans fortune), soit petits propriétaires.
Quand ce roman s’ouvre, Fontamara vit au rythme des coupures d’électricité que lui impose la dictature mussolinienne. Pour ces pauvres gens, une coupure d’électricité, c’est simplement davantage de misère. Un soir sans lumière (mais la lumière aurait-elle changé quelque chose ?), un étranger débarque au village, prononce quelques phrases alambiquées, puis demande aux hommes de signer le document qu’il leur présente. Un document, c’est beaucoup dire : juste une feuille, blanche, sur laquelle l’étranger aura ensuite beau jeu d’apposer les lignes de son choix.
Dès le lendemain, des cantonniers armés de pics et de pelles entreprennent de détourner le cours d’eau du village, celui dont « les Fontamarais ont toujours tiré l’eau nécessaire à l’irrigation des pauvres champs qu’ils possèdent au pied de la colline et qui constituent la seule richesse du village ». Ce détournement abusif va achever de plonger Fontamara dans la misère.
Les hommes étant requis par les travaux des champs, ce sont les femmes qui se chargent de porter aux autorités locales les doléances du village. Elles apprennent ainsi que Fontamara vit désormais sans maire, et que c’est un homme riche qui s’est emparé du pouvoir. Un homme, ou plutôt celui qui reviendra tantôt sous le nom de « L’Entrepreneur », tantôt sous celui de « podestà ».
Après de ridicules négociations (les femmes font ce qu’elles peuvent contre une autorité intraitable), voici ce qu’elles obtiennent de celui qui jusqu’alors défendait leurs intérêts : « Il faut laisser au podestà les trois quarts de l’eau du ruisseau et les trois quarts de l’eau qui reste seront pour les Fontamarais. Ainsi les uns et les autres auront-ils chacun trois quarts, c’est-à-dire plus de la moitié. » Comment peut-on se laisser berner par une proposition qui tromperait difficilement un enfant de 10 ans ? Crédulité ? Peur de l’opposition ? des probables représailles ? Même pas : ayant à peine compris les termes de la proposition, et ne sachant guère compter, il leur est impossible d’y démêler le faux du vrai. Naturellement, de l’autre côté, on s’empresse de leur faire signer un document qui ratifie cette partition inique. Et qui scelle le destin de Fontamara.
Parmi les hommes, il ne s’en trouve qu’un qui n’ait rien à perdre : Berardo (il a déjà tout perdu). Quand les autres baissent les bras devant le destin qui s’acharne contre eux, lui pense à des réactions viriles contre le podestà, comme mettre le feu à sa tannerie ou à son dépôt de bois, faire sauter son four à mine, incendier sa villa, autant d’actions qui selon lui ramèneraient L’Entrepreneur à la raison et lui feraient considérer le ruisseau d’un œil plus clément. Mais un seul homme, c’est peu pour réveiller un village et lui faire prendre les armes. D’autant plus difficile que les autres ne sont pas disposés à perdre le si peu qu’il leur reste. Comble de malchance pour Fontamara : Berardo tombe amoureux d’une belle villageoise ; pour lui offrir une vie décente et pouvoir envisager le mariage, il songe soudain à trouver du travail. Un dessein qui le détourne de ses désirs de révolution.
Le village va alors subir toutes les avanies. On les emmène un jour en bus dans une bourgade voisine pour qu’ils puissent faire valoir leurs revendications, mais sur place ils n’auront guère le loisir que de saluer le ministre et le préfet, avant d’être ramenés à Fontamara (pour ceux qui auront eu la chance de se trouver à proximité du car : les autres en seront quittes pour un retour à pied). Plus tard, ce sont les « chemises noires » qui s’en mêlent, profitant de l’absence des hommes pour fouiller virilement leurs maisons et leurs femmes.
Le cours du ruisseau est enfin détourné. Chacun découvre alors ce que cela signifie « les trois quarts du reste » : des cailloux pour l’essentiel, quelques buissons et quelques herbes. Autrement dit : rien, plus une goutte d’eau. Et à coup sûr la famine.
Berardo ira bientôt tenter sa chance à Rome, en compagnie d’un autre fils du village. Après y avoir appris la mort de sa fiancée et découvert les nouvelles lois interdisant l’immigration, il se rendra coupable de gestes révolutionnaires qu’il n’a pas commis.
On ne sort pas indemne de Fontamara ; on quitte ce roman assommé ; pire encore : écœuré. Un volume qui tient autant du roman engagé que du témoignage. Si Ignazio Silone peint si aisément la société italienne sous la dictature mussolinienne, c’est qu’il l’a bien connue : sous son vrai nom, Secondo Tranquilli a dirigé le Parti Communiste italien ainsi que son organe de presse L’Unità (il en fut exclu en 1930, pour avoir défendu Trotski contre Staline). Ce qui émeut vraiment, c’est que son réquisitoire a la beauté d’un chant : c’est par la douceur qu’il entraîne le lecteur au fond de l’horreur, dans un monde absurde qui vaut bien celui de Kafka. Une délicatesse et un talent qui n’avaient pas échappé à Faulkner, qui voyait en Silone « le plus grand écrivain vivant ».

Fontamara
Ignazio Silone
Traduit de l’italien
par Jean-Paul Samson et Michèle Causse
Grasset, « Les Cahiers Rouges »
294 pages, 9

Le lamento de Silone Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°87 , octobre 2007.
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