Qu’importe le flacon : carnet de voyage, carnet intime, carnet d’esquisses, recueil de poèmes en prose, livre d’heure, l’ivresse est là. Deux textes délivrent leur liqueur d’or, leur liqueur d’os, mortifère et vive. Le premier « Esquisses d’atelier » convoque l’œil, la main, le pied. Véronique Gentil, peintre, nous entraîne sur ses terres de la Vienne, traversées par la Charente. Les paysages se fondent en un mystérieux précipité, victimes d’un étrange et sensuel corps à corps. L’œil les réduit, la main les apaise, le pied les distend. Quelque chose de métabolique s’opère, d’atemporel. « Dans mes heures creuses les choses se font et se défont. Elles ne sont pas un vide à remplir, elles sont au contraire pleines d’une substance à démêler, à me rendre mobile. » Il y a ici comme l’exaltation d’une présence tout à la fois ancrée et fugace. Dans l’autre texte, « Une lettre » offre d’incessantes pérégrinations entre le lieu habité, petite maison enfouie dans un jardin, souvent au cœur de la nuit, d’innombrables paysages et l’être aimé, si près, si lointain. L’écriture se fait plus matérielle, plus épaisse, s’articule, s’invagine. Les couleurs tranchent, délivrent des arômes de fruits mûrs, de cuirs, le je se délivre, se met à nu, se concentre dans cette citation de Lao-tseu : « Tout être porte sur son dos l’obscurité et serre dans ses bras la lumière. » Un crâne apparaît dans chaque portrait, visage. L’intranquillité baigne chaque instant et pourtant une sérénité, presque un bonheur s’installe. « Le miracle d’une langue, c’est précisément lorsqu’à travers ses lieux communs elle restitue parfois l’instant… » Un premier livre d’une étonnante maturité.
Les Heures creuses de Véronique Gentil
Pierre Mainard éditeur, 76 pages, 11 €
Poésie Heures pleines
janvier 2008 | Le Matricule des Anges n°89
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Heures pleines
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°89
, janvier 2008.