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Domaine français Partir de rien

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Anthony Dufraisse

Un manuscrit qui piétine, la vie de son auteur qui patine… Le cinquième roman de Julien Bouissoux, « Voyager léger », se place sous le signe de la dérision douce.

Ce livre a beau s’intituler Voyager léger, il ne s’agit pas d’un guide touristique à l’usage des globe-trotters solitaires. Qu’on ne s’attende pas non plus au récit de quelque excursion buissonnière. Il s’agit d’une image. L’esprit de ce titre est à l’image de la vie du personnage de Julien Bouissoux, le dénommé Tristan Poque, déjà aperçu, on s’en rappelle peut-être, dans La Chute du sac en plastique, roman atypique paru en 2003 (éd. du Rouergue). Poque prend toutes choses à la légère, et d’abord sa propre vie, menée au jour le jour, comme elle vient. Il ne s’encombre de rien (le strict nécessaire lui convient) ni de personne (il vit tout seul). Un chèque tous les trois mois, un ou deux cocktails par semaine pendant lesquels il peut picorer quelques petits fours, et zieuter la voisine du 4e en face (à qui d’ailleurs le livre est dédié ?!) semblent lui suffire.
Poque écrit des polars sous pseudos. Notez bien le pluriel. Signant tour à tour Elliot, McOnzo, Bachmann, Poque est un peu, si l’on veut, un Pessoa du roman de gare ; il collectionne les identités. S’il recourt à ces noms d’emprunt, ce n’est aucunement par honte, mais parce que l’exotisme du patronyme rapporte davantage et permet d’écouler plus facilement les bouquins. Pas de honte, non, c’est juste affaire de marketing ; il imagine des « livres pleins de cadavres qui étaient aussi éloignés de la littérature que le trombone d’un quatuor à cordes » mais sans concevoir apparemment de désarroi. En témoigne cet échange : à une certaine Madeleine qui lui demande s’il est dans la littérature, il répond d’un « pas vraiment ». C’est qu’il ne confond pas son « activité d’écriture à plein temps » avec « LA littérature ». C’est un boulot alimentaire, un « travail de bureau », ni plus ni moins, dans lequel au demeurant il se défend assez bien. La compagnie des espions, des assassins et des macchabées n’est pas pour lui déplaire. À condition d’être inspiré, bien sûr, ce qu’il est généralement. Mais pas cette fois. Pour une fois il y a un os, et ça le ronge. La panne d’inspiration est comme une coupure d’électricité : elle vous plonge dans le noir. C’est dans cet embarras que le lecteur découvre Tristan.
Julien Bouissoux a écrit le roman d’un homme qui se fuit, qui ne se regarde pas franchement en face. Dont la passivité va se changer bientôt en fébrilité. Ce trentenaire habituellement si détaché, sans attachement apparent, se montre en effet de plus en plus préoccupé, non pas tant peut-être par cette impossibilité à boucler son manuscrit, ce passage à vide peut arriver, mais par sa vie qui tourne au ralenti. Comme le manuscrit en suspens, son existence fait du surplace : « Quelque chose dans ma vie ressemblait de plus en plus à un pneu crevé qu’il fallait regonfler sans cesse sous peine de ne plus pouvoir avancer, mais sans espoir de le réparer ». Poque se regarde vivre sans s’avouer vraiment que ce manque d’inspiration est un symptôme. La marque d’un malaise, l’amorce d’un mal être.
Bouissoux, d’une séquence l’autre, décrit ce flirt avec la mélancolie qu’une nature déjà indolente attise. Poque est un prisme où se réfractent certainement beaucoup des pensées de l’auteur, à peine plus jeune que son personnage. Comme celui-ci, Julien Bouissoux ne s’appesantit pas sur les sentiments, qu’il suggère seulement, par petites touches, sans insistance, en tirant de-ci de-là quelques cartouches de lucidité. Il tourne, Bouissoux, autour de ce personnage qui tourne en rond. Et la ronde continuerait si Poupou, son meilleur ami, ne l’en sortait de manière imprévue. Il est également écrivain, ce Poupou, d’une autre envergure cependant. Mais ce surclassement n’empêche pas la panne sèche. Lui aussi poireaute au club des bons à rien ; plusieurs manuscrits à rendre, des dettes et pas la moindre inspiration. D’où cette idée qui lui vient, à Poupou, et qui va donner lieu à un deal : « Tu écris le livre que tu as envie d’écrire, on le donne à mon éditeur en disant que c’est le mien, et moi je t’écris ton roman d’espionnage ». Plus qu’un deal au vrai : un pacte. Le marché conclu, tout se débloque comme par miracle. Plaisir de la complicité illicite, Tristan se remet à écrire « avec une énergie et une liberté rarement éprouvées ». L’entrain succède à l’entrave, et Poque se révèle écrivain vrai. Lui qui croyait « avoir renoncé à toute ambition littéraire » c’était donc ça qu’il voulait, écrire vraiment ; ça qu’il rêvait, « toucher des gens grâce à ce qui chantait au plus profond de lui ». En quoi Bouissoux nous donne un livre de la renaissance. Un livre dont l’émotion se découvre, dans les dernières pages, à travers une succession d’épiphanie : « voilà que l’inspiration ne voulait plus m’abandonner », s’émerveille Tristan. C’est un livre de la lenteur aussi, sans pathos aucun, désamorcé qu’il est par une dérision douce, probablement le charme premier de ce jeune écrivain. Et c’est peut-être, enfin, un livre qui, derrière l’ironie et la légèreté (un certain fantasque, aussi) est plus sérieux que ce que l’auteur voudrait bien laisser accroire.

Voyager léger
Julien Bouissoux
Éditions de l’Olivier
177 pages, 16

Partir de rien Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
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