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Domaine étranger Exercice d’exorcisme

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Richard Blin

Dans son premier livre, inédit, Julián Ríos compose un adieu au pays sur fond de destins sans salut, d’échec et d’alliance trouble.

Cortège des ombres

L’entrée en littérature, comme tous les débuts, est toujours un moment des plus intéressants à observer. Pour Julián Ríos - né en 1941, et considéré comme le grand rénovateur de la prose espagnole - tout a commencé dans les années 60 par l’écriture de nouvelles dans lesquelles il cherchait à faire revivre « le pays des merveilles de l’enfance et de l’adolescence, avec ses ombres du passé parfois abominables, auquel s’annexait, mi-nostalgique mi-fantomatique, ce pays que tu quittes et où tu ne reviendras pas. » Cortège des ombres, avec ses neuf chapitres qui peuvent être lus comme autant de nouvelles, est le fruit de ces années-là, un livre qui tient autant de la couronne d’adieu que de l’étape indispensable d’un processus de libération qui, parallèlement à une vie de voyages, allait donner naissance aux grands textes virtuoses et jubilants que sont Poundémonium et Larva (José Corti).
Véritable roman choral, publié aujourd’hui pour la première fois, Cortège des ombres décline quelques-unes des plus scandaleuses pages de la chronique locale de Tamoga, une bourgade espagnole de bord de mer, proche de la frontière portugaise et cernée par des marécages. La vie y est lente et étouffante tant pèse le poids noir des préjugés, des conventions sociales et des interdits familiaux. Ragots, rumeurs, crédulité et curiosité constituent le terreau d’où s’élève la voix anonyme des habitants, le « nous » et le « on » d’un collectif dont on ressent l’impitoyable prégnance, et qui, à travers le regard de différents témoins, livre à tous les faits et gestes de tout un chacun. S’en servant comme d’un instrument optique permettant de multiplier les points de vue, Julián Ríos joue des effets paradoxaux de la réalité et de l’illusion pour nous raconter quelques histoires de ratage, de folie, des catastrophes existentielles, des échouages définitifs comme dans le premier et le dernier chapitre. Du pharmacien que l’infidélité de sa jeune épouse et l’opprobre cloîtrèrent dans sa maison en passant par les « spamoisons » d’un innocent incestueux, les amours ancillaires ou les embardées dans le passé d’un homme en arrêt cardiaque, sans oublier les sombres heures du franquisme, quand tout le monde craignait tout le monde et que « personne ne se sentait tranquille parce que la responsabilité individuelle pouvait s’étendre jusqu’aux plus lointains ascendants », chaque histoire se noue peu ou prou autour d’un motif de transgression, d’un passage à l’acte qui dans chaque cas isole l’individu, le laisse tous ponts coupés, absolument seul avec ses fantômes.
Mais ce qui est particulièrement intéressant, c’est la façon dont Julián Ríos tire parti de l’essence même du romanesque, c’est-à-dire de l’imprévisible qui arrive. À partir d’indices minuscules, d’un noyau initial très lacunaire, il élabore tout un récit qui fait la part belle aux équivoques, à l’ambiguïté, au secret et à la surprise. Chaque chapitre tient donc à la fois d’un univers en trompe-l’œil et de la quête d’une inaccessible vérité avec tout ce que cela comporte d’indécision, d’hypothèses et d’errements. Une forme romanesque qui est une manière de montrer combien le moi social est une construction des autres et qu’aucun système d’explication n’épuisera jamais une âme particulière. « Une histoire ne mérite d’être racontée que lorsque les mots ne peuvent en épuiser la signification ».
Une forme qui implique aussi une architecture et une composition dont témoigne un tissu d’échos et de contrepoints qui, à l’image du réel et de l’imaginaire ne cessant de s’interpénétrer - comme les mots-valises si chers à l’auteur - engendre cette sorte de folie dont on crédite trop facilement ceux que la vie a trompés, et chez qui la frontière entre ombre et lumière s’est faite un peu floue. Tout l’art de Ríos est là, dans la façon qu’il a, non pas d’opposer lumière et ténèbres, mais d’en faire, au contraire, des alliées. Parce qu’écrire c’est affronter des - et ses - ombres tout en domptant l’âme de nuit des mots sur fond de folie maîtrisée.

Cortège des ombres
Julían Ríos
Traduit de l’espagnol par Geneviève Duchêne
Tristram, 160 pages, 17

Exercice d’exorcisme Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
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