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Intemporels Noces de sable

février 2008 | Le Matricule des Anges n°90 | par Didier Garcia

Le romancier japonais Abé Kôbô plonge son lecteur dans un monde absurde, où la vie humaine est une réclusion. Envoûtant.

La Femme des sables

La Femme des sables

Un jour, un homme disparaît. À en croire son épouse, il était parti chercher des insectes, seulement encombré d’une boîte en bois et d’un bidon d’eau potable. A-t-il ainsi maquillé une escapade amoureuse, ou s’agit-il d’une fugue, d’une mort accidentelle ? En l’absence de réponse, sept ans plus tard, son décès est enregistré.
Après ces quatre premières pages, le roman revient sur ce passionné d’entomologie et sur son destin. C’était bien pour des insectes qu’il était parti, et plus précisément pour des cicindèles, espèces de mouches qu’il espérait trouver sur les dunes qui bordent la mer, dans un littoral que rien ne permet d’identifier. Mais rapidement, voici qu’il s’égare, son excursion le livrant à un village de pêcheurs perdu dans les sables. Une femme l’accueille pour la nuit dans une maison singulière, située au fond d’un trou d’une dizaine de mètres, creusé à même le sable, et à laquelle il accède à l’aide d’une échelle. Le lendemain, à son réveil, l’échelle n’est plus là. Commence alors pour lui une terrible séquestration.
Une séquestration, ou plutôt un supplice, surtout dans les premières heures : le sable est partout, non seulement autour de lui, mais même dans l’eau, qu’il faut protéger, et jusque dans sa bouche…
Le voici donc provisoirement condamné à végéter au fond d’un trou. Même s’il y a de nombreuses manières d’exister, celle-ci ne lui convient guère : on le voit alterner entre des accès de violence et des moments de méditation philosophique, cependant que la femme vit sa claustration avec un relatif détachement, une distance qui lui rend sa détention plus supportable. Un jour, elle lui assène sa propre vision des choses : s’il est venu là, c’est qu’il n’était pas heureux où il se trouvait ; s’il n’est pas content de son sort, il ne doit s’en prendre qu’à lui seul.
Ne sachant pour quelle raison on le retient prisonnier, le comportement de ses geôliers ne lui en est que plus déroutant : pour peu qu’il travaille, ils accèdent à tous ses désirs, lui faisant parvenir tantôt un journal, tantôt des cigarettes. Tous ses désirs sauf un : sa liberté. Et pour ce qui est de la retrouver, mieux vaut ne pas trop y compter : la femme lui apprend que personne n’a encore réussi à s’enfuir de ce trou (ils sont d’ailleurs surveillés nuit et jour par une sentinelle postée dans une tour d’incendie).
Au 46e jour de séquestration, profitant d’un épais brouillard nocturne, il met son plan d’évasion à exécution. En haut, c’est une tempête de sable qui accueille ses premières minutes de liberté. À ce moment du roman, on imagine plusieurs suites, tout en espérant qu’il s’en sorte (un espoir que l’on formule timidement, n’osant prendre fait et cause pour cet homme capable des pires violences envers sa compagne de cellule). Sa fuite s’achève dans un marais, dont il est sauvé d’extrême justesse, avant d’être redescendu dans son trou.
Durant de nombreuses pages, le lecteur suit les pensées de cet homme, côtoie ses colères, son sentiment d’impuissance, ses sursauts d’espoir, ses rêves d’évasion. Et fatalement, ce qui devait arriver se produit : un jour, l’homme et la femme en viennent à s’accoupler.
Une telle séquestration, cela vous laisse aussi du temps pour penser, pour bien observer le sable. Parvenir à une meilleure connaissance de cet élément, c’est toujours cela de gagné, d’arraché au néant. Quand il découvre sa capillarité, sa vie s’en trouve brusquement modifiée : « il se sentait la même âme que s’il se fût trouvé au plus haut d’une haute tour. Le monde se renversait pour lui : l’envers devenait l’endroit, les creux des hauteurs, les hauteurs des creux. »
Un jour, la femme tombe enceinte, se met à saigner. On lui diagnostique une grossesse extra-utérine. Il faut l’évacuer d’urgence. On laisse alors l’échelle en place. L’homme est enfin libre de sortir… ou rester (on ne révélera pas son choix au lecteur).
En 1967, cinq ans après sa sortie, la France décernait à La Femme des sables le prix du Meilleur Livre étranger. Abé Kôbô (1924-1993) signait là un roman envoûtant, puissamment hypnotisant. Le plus étrange, c’est que Kôbô n’y sollicite jamais l’empathie du lecteur : si l’on dévore ce roman, si l’on est pressé d’en finir, ce n’est pas avec l’espoir fébrile que le prisonnier se trouve une issue favorable, mais simplement parce que l’on se sent soi-même oppressé, et désireux de donner sens à tout cela. Porté par les pensées du protagoniste et par ses innombrables questions, on a tout le loisir de se formuler des hypothèses de lecture : l’homme souffre-t-il d’une démence précoce ? Traverse-t-il éveillé le continent d’un cauchemar ? Dans ce monde absurde, qui vaut celui de Kafka ou Beckett, ce trou de sable n’est sans doute qu’un symbole. Que ce soit entre des murs ou au plus profond du sable, la vie humaine n’équivaut-elle pas à une réclusion ? N’est-ce pas, en somme, le lot de chaque mortel ? Ce roman pose peut-être aussi la question de la liberté : de quel côté se trouve-t-elle exactement ? Est-elle vraiment dans ce monde perdu que le protagoniste ne songe qu’à retrouver ? À considérer le comportement de la femme et son impassibilité, on n’en est plus si sûr. Mais au sortir du roman, on n’est plus sûr de rien.
Après tout, peu importe : ce roman n’est pas de ceux qu’une seule lecture permet d’épuiser. Après avoir vécu un enchantement de trois cents pages, le lecteur lui donnera le sens qu’il voudra - mais l’enchantement restera.

La Femme
des sables

Abé KôbÔ
Traduit du japonais
par Georges Bonneau
Le Livre de poche
320 pages, 6,50

Noces de sable Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°90 , février 2008.
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