Fario N°5 (Face aux machines)
Le numéro hivernal de Fario se devait de consacrer, après « Quelques bêtes » (N°2), « Marcher » (N°3) et « Du silence » (N°4), un volume aux machines. Logique, puisque au « ça marche » machinal jeté à telle carcasse métallique vrombissante, ajoutons le bruit ronronnant (silencieux) du moteur à quatre pattes, cheval moderne par excellence… Ce numéro s’inscrit discrètement dans la lignée de la critique de la technique telle que les philosophes Heidegger ou Anders en conceptualisèrent le devenir aveugle. Les deux textes inédits de Anders (comme « L’obsolescence de l’individu » que traduit Christophe David en même temps qu’il confie un long article sur la pensée d’une ontologie chez l’auteur) poursuivent cette tâche analytique. À la question de savoir quelles façons avons-nous d’être « face aux machines », réponse (d’abord) du truculent Charles-Albert Cingria dans une lettre de 1903 à son frère : « quand j’ai demandé une machine à écrire on n’a pas ri mais on m’a dévisagé comme si je demandais une machine à manger, à boire, à pisser, à compter… » Beau pied de nez par lequel se montre toute l’ambiguïté de la machine, qui doit être machinalement productive de phénomènes naturels (mimétisme voulu absolu), quand elle nous oblige aussi à la penser machinalement bienfaisante et serviable. C’était sans compter sur Huxley et son meilleur des mondes ou sur le 1984 de Orwell, ou sur ce que Anders décrit de la mécanisation du travail et des loisirs comme « esclavage post-contractuel ». Vincent Pélissier dans son « Parfois, c’est pourtant du ciel qui reste… » a raison de noter en citant Walter Benjamin ce qui sépare celui qui « s’abîme » dans la technique (la pensant) et « la masse distraite qui la reçoit en elle ». Accoutumance et commune distraction faisant admettre son usage, sans pensée de sa valeur, sinon consumériste.
C’est un tout autre angle que Jacques Damade prend dans « Le cimetière Lami » pour nous parler à la façon du cinéaste Tati, dans une langue typée et populaire des années 60, d’une Gordini, des klaxons, de « toute cette vitalité commerciale de la voiture flambant neuve », et d’écrire que le « plein d’essence » fait, « on pissait, on achetait des Petits Lu ». Retenons également, datant de 1934, le « Machines Mécaniciens Chauffeurs » de Paul Nizan où le mécano écoute « la dictée sonore » des bielles & soupapes, un chapitre bien réaliste (donc pessimiste) de Lewis Mundford, auteur de Les transformations de l’homme (récemment paru aux Éd. L’encyclopédie des nuisances), que suivent, après l’habituelle section « Le livre ouvert » (Reda, Sacré, Blok, Sedakova…), les vues urbaines des photographies (couleur) de Joséphine Michel.
Fario N°5, 440 pages, 25 € (26, rue d’Aubigny 75017 Paris revue.fario@gmail.com)