C’est sur le vaste site alternatif Artamis, près des façades cossues du centre ville genevois, qu’Alain Berset a planté son « refuge ». Plus de 250 personnes, des artisans et des artistes, du graphiste au marionnettiste, occupent depuis 1996 cette ancienne friche industrielle, parmi les dazibaos et les herbes folles. « Longtemps, devant la pénurie de logements, la justice a toléré ces squats », dit l’hôte du bâtiment 51. Aujourd’hui les résidents s’inquiètent. Prière de déménager avant l’été : il faut dépolluer la parcelle.
Né en 1964 à Neuchâtel, Alain Berset quitte l’école à 15 ans pour « apprendre le métier de libraire » - qu’il exercera (jusqu’en 2003) chez Payot, Le Rameau d’or, ainsi qu’à Paris, le temps d’un stage à La Hune : « c’était l’époque où une table de nouveautés durait six mois ». En 1994, il achète une presse à épreuves, des caractères et un petit massicot. Héros-Limite est né, en hommage au poète Ghérasim Luca disparu cette année-là. Héros-Limite publie plutôt des livres atypiques, de singulières expériences d’écritures qui réclament l’invention du lecteur. Nourri par les auteurs de la Beat generation ou de P.O.L, par la pratique artistique d’un Robert Filliou, Berset accueille ce qui expérimente, ce qui dérange nos habitudes, quand la langue, dans sa démesure, se nourrit d’elle-même. Il suffit d’observer le travail d’un Roger Lewinter qui recherche quelle serait, en français, la structure d’une phrase sans point, les Arguments d’Ulises Carrión, théoricien du livre d’artiste, les cent façons dessinées d’appréhender la planète (par Baladi) ou encore la poésie concrète de l’Allemand Eugen Gomringer. À son enseigne aussi, quelques pointures : John Cage (son Journal et Silence) et Valère Novarina (c’est Berset qui a dirigé l’ouvrage collectif Théâtres du verbe, chez Corti).
Alain Berset aime que le poème quitte la page imprimée - il s’est lancé du reste dans le CD-audio (Cingria et Novarina, en attendant Roud), même si « c’est très compliqué en matière de droits ». Mais pas seulement. Destinée à un public pointu, la ligne d’Héros-Limite s’émancipe. Après Le Chemin étroit vers les contrées du Nord de Bashô, dans une traduction de Nicolas Bouvier, il vient de publier un autre versant géopoétique, Territoires chamaniques de Kenneth White. Ainsi qu’un très beau livre du Genevois Claude Tabarini, Enveloppes, exercices de style autour du jazz, cette « fontaine de jouvence », qui est surtout prétexte à arpenter le monde sensible. Rencontre avec un homme amoureux des livres et « idéaliste » qui conçoit son activité comme une « manière de vivre », dans la patience et la rigueur du travail bien fait.
En quoi c’était important de se lancer dans l’édition en ayant votre propre atelier typographique ?
J’ai beaucoup été influencé par le travail de Guy Lévis Mano. Son autonomie et sa manière d’éditer des textes surréalistes ou de littérature classique me fascinaient. Je pensais que posséder son propre outil se...
