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Domaine étranger Au coeur du monde

mars 2008 | Le Matricule des Anges n°91 | par Didier Garcia

Le premier volume des mémoires de l’écrivain et journaliste russe Ilya Ehrenbourg explore l’Histoire, la politique et la culture des années 1920. Un mélange foisonnant.

Les Gens, les années la vie

C’est en champion du témoignage qu’Ilya Ehrenbourg (1891-1967), écrivain russe issu de la bourgeoisie juive, s’exhibe dans ces pages qui courent jusqu’en 1933. Des pages alertes, passionnantes et passionnées, qui parlent de ceux qu’il a rencontrés et des événements dont il a été l’acteur ou le témoin.
Pour ce qui est des événements, on trouvera, plus ou moins successivement, son militantisme politique, qui commence à l’âge de 15 ans, sa première expérience de la prison (il n’a alors que 17 ans, mais il se réjouit d’être enfin pris au sérieux), son expulsion de Kiev, puis son exil à Paris, où il mène une vie de bohème, y rencontrant Lénine et sa première épouse (sa fille Irina naîtra en 1911). Quand il arrive en France, où se joue le Sacre du Printemps de Stravinsky, Paris est alors promue au rang de « capitale du monde ». Ehrenbourg lui rend d’ailleurs hommage : « Paris m’a éduqué, enrichi, ruiné, mis sur mes pieds et fait perdre l’équilibre. » On le voit à La Rotonde (et plus tard ce sera à La Coupole) où se réunissent des artistes de toutes nationalités (on y croise Foujita en kimono, Diego Rivera avec son bâton mexicain sculpté, Max Jacob avec plastron et monocle, Zadkine en compagnie de son chien danois, Soutine dans le coin le plus sombre, collant déjà au noir qui fera toute son œuvre). Un brassage culturel qui fait rêver, mais pour Ehrenbourg, la culture ne peut pas tout : « Je m’assis à une table, il y avait là des peintres, des poètes, ils disaient que Diaghilev avait commandé des décors à Picasso, ils parlaient du nouveau livre de Paul Claudel, d’autres choses encore. Et soudain, tout cela me parut ennuyeux : ce n’était pas la vie, mais une mauvaise imitation. La vraie vie était restée dans ce lieu d’où je venais » (entendez le front de la Première Guerre mondiale, où il se rendait en tant que reporter). Âgé de 26 ans, il rentre en Union soviétique, observe in vivo la Révolution d’Octobre, découvre cet étrange paradoxe qui fait de la Russie un pays où l’on vit socialement à l’âge des cavernes et où l’on produit une avant-garde artistique des plus riches, puis il s’exile à Berlin, part se perdre à Penmarch, dans le Finistère, en 1927…
Pour ce qui est gens, la liste a de quoi impressionner : Nicolas Boukharine, Guillaume Apollinaire (à qui il ne put dire un mot le jour de leur rencontre ; Apollinaire lui fit alors remarquer qu’il n’était pas une jeune femme), Modigliani, Tsvetaeva, Maïakovski, Mandelstam, Desnos, Léger… Comme il le constate lui-même : « J’ai tout de même eu de la chance. J’ai rencontré au cours de mon existence quelques personnes qui ont marqué notre siècle. (…) Je mets au nombre des grands bonheurs de ma vie ce jour lointain de printemps où j’ai rencontré pour la première fois Picasso, c’est un jalon dans ma vie. » Arrive-t-il à Berlin que le voici au Romanisches Café, en compagnie du peintre hongrois Moholy-Nagy, du poète russe Maïakovski et de l’allemand Piscator (créateur du théâtre prolétarien). Plus loin, on le surprendra aux côtés de Roman Jacobson, d’Isaac Babel, James Joyce, Italo Svevo…
Comme si de tels noms ne suffisaient pas pour séduire, le volume fourmille d’anecdotes. Il raconte par exemple comment un de ses amis, voulant vendre une couronne dentaire en or, s’adressa à un dentiste et non à un comptoir de l’or. Ou cette conférence sur l’art contemporain que Ramón Gómez de la Serna fit juché sur le dos d’un éléphant de cirque. Ou le clown Vladimir Dourov, qui vint à Paris acheter une girafe, qu’il lui fallut ensuite transporter dans un wagon spécial…
Le livre alterne entre évocations de personnages et récits d’événements. Au passage, il s’autorise même à évoquer ses propres livres (et notamment Les Aventures extraordinaires de Julio Jurenito), moins pour le plaisir narcissique de se citer (même s’il découvre qu’entre 1922 et 1931 il en a quand même écrit dix-neuf) que pour expliciter une affirmation, jeter un éclairage sur un épisode ou une époque. Même si l’on y meurt beaucoup, et souvent prématurément, même si l’on s’y perd un peu (Ehrenbourg enfreignant volontiers la règle d’or du mémorialiste, qui consiste à respecter l’ordre chronologique), même s’il passe sans transition de la culture à l’histoire et du privé au politique, le lecteur en ressort toujours plus riche, toujours plus épaté, comme si l’on reconstruisait sous ses yeux des pans entiers du passé.
Que l’on ne s’y trompe pas, ce volume contient son lot de douleurs : combien d’amis déportés, fusillés ? et que dire de la montée du fascisme dans l’Allemagne du début des années 1930, avec ces autodafés où disparaissent ses propres livres ? On y lit donc des mémoires, une autobiographie haute en couleur, qui retrace par le menu un parcours impressionnant, mais on y lit autre chose : une sorte de flamme, d’enthousiasme, qu’aucun événement n’a su éteindre, et que chaque phrase communique au lecteur. Un souffle qui fait désirer la suite.

Les Gens,
les années, la vie

Ilya Ehrenbourg
Traduit du russe
par Michèle Kahn
Parangon/Vs
624 pages, 25

Au coeur du monde Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°91 , mars 2008.
LMDA PDF n°91
4,00