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Égarés, oubliés Le gardien de la chandelle verte

mars 2008 | Le Matricule des Anges n°91 | par Éric Dussert

Latiniste et philosophe, Emmanuel Peillet (1914-1973) fut assez imaginatif pour fédérer sous la bannière verte de Jarry la fine fleur du gay sçavoir.

Emmanuel Peillet, Jean-Hugues Sainmont, Latis et M[élanie] le P[lumet] sont les différentes identités d’un individu qui, au cœur du siècle passé, n’a cessé de manigancer - on nous fera l’honneur de croire que nous usons ici de l’acception d’atelier du terme - voire de nardigraphier - il s’agit d’un mode de reproduction. Cet homme, Jean Marie Emmanuel Peillet, né en terre bientôt simpliste à Reims le 21 janvier 1914, fut à lui tout seul une sorte de moteur épatant, opérant comme un aimant sur les jeunes tenants du gay sçavoir de son temps. De forts esprits à coup sûr, taquins parfois, dont quelques-uns furent notables : le moindre d’entre eux ne fut pas feu Henri Salvador, qui vient de rejoindre à la lumière d’une chandelle verte le grand inspirateur, Alfred Jarry, et ses prédécesseurs, Raymond Queneau et Boris Vian, au nécrologe du collège de ’pataphysique. Car Emmanuel Peillet dont il est enfin possible de lire une biographie très documentée grâce à Ruy Launoir, fut l’inventeur du Collège de ’pataphysique auquel les études rimbaldiennes, allaisiennes et ducassiennes doivent à peu près tout. Au grand dam de l’Université.
On imagine quel tour de force et de volonté fut d’animer ce collège dont Henri Thomas décrivait la préhistoire dans son roman Une saison volée (Gallimard, 1986) et forçait le trait en le présentant à ses origines comme une sorte de milice. Animateur d’un groupe, éditeur de revues, Peillet fut contraint parfois de se faire le nègre-rédacteur du désinvolte Anatole Jakovksy, ou le nègre-dessinateur du perfectionniste Raymond Queneau, tout en assumant sa vie professionnelle de professeur.
Après avoir suivi sa scolarité à Reims, Emmanuel Peillet vint à Paris en octobre 1932 pour y faire sa khâgne. Il y fit les rencontres déterminantes de Paul Gayot (préfacier de la présente biographie), Philippe Merlen et Louis Barnier, suivit les enseignements du philosophe Michel Alexandre, qui le poussa au militantisme politique. Mais il y avait aussi le latin et la philosophie d’Alain, la revue Essais et Combats, qu’il dirige en 1937-1938, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, la guerre et sa nomination au collège de Juilly puis au lycée de Chanzy. Surtout il y avait Jarry, Ubu et la ’pataphysique, cette « science des solutions imaginaires ».
Créé le 11 mai 1948 à Paris à La Maison des amis des livres, la librairie d’Adrienne Monnier, le Collège de ’pataphysique fut nommé par Maurice Saillet, le libraire bientôt estourbi par l’affaire de La Chasse spirituelle, le faux Rimbaud - en référence au Collège de philosophie. Ce fut la grande affaire d’Emmanuel Peillet qui mit là toute sa phénoménale énergie. Peu confiant en la pédagogie, Peillet fondait là un organe inédit qui lui permettrait de remettre en cause le primat du savoir universitaire. Et sa lettre du 8 novembre 1972 au mandarin Pierre Casteix (Locus Solus, 2003) dit largement le fond de sa pensée. Suspicion vis-à-vis de l’institution qui n’avait pas empêché ce diable d’autonome de produire avec ses élèves la première édition collective des poèmes de Prévert, en toute illégalité, sous l’Occupation.
En dehors des sévères polémiques qui opposèrent le collège à divers personnages - André Breton, qui n’a jamais trouvé tout seul que la Chasse était un faux ; Paulhan, enseveli sous un flot de cartes « Jean Paulhan n’existe pas » pour avoir nié tel avatar de Peillet, etc. - l’ambiance qui émane du collège reste celle de gaieté et d’inventivité. Et il en fallait pour produire le formidable bond réalisé au cours des années 1950 à 1970 dans le domaine des recherches relatives à la fin-de-siècle précédente ou aux marges de la littérature et du langage - Peillet eut l’occasion de se plaindre de la concurrence déloyale de la revue Bizarre trouvant dans les publications du collège la matière de plus d’un numéro. Reste que l’esprit khanulardesque du collège - jusqu’à son calendrier -, directement hérité de l’univers de Jarry, est aussi le fruit du folklore de la khâgne et de ses rites. D’où probablement le registre latino-potachique typique du collège.
La grande époque du collège dura de la fin des années 1950 à la mort d’Emmanuel Peillet, le 1er septembre 1973. Le collège fut ensuite occulté et sa récente désoccultation a montré que la grâce n’y était plus. Ce constat souligne le rôle cardinal de Latis-Sainmont-Le Plumet. Et si le professeur de philosophie Peillet fut l’animateur d’un groupe aussi réjouissant que sérieux, il reste à découvrir qu’il n’était pas moins penseur, photographe, dessinateur, épistolier. Bref, un écrivain hors-barrière dont les œuvres méritent d’être fréquentées. Pour commencer, L’Hexaèdre réédite L’Ordre, une conférence de 1944 dont les échos paraissent bien contemporains où l’on apprendre qu’à l’instar de la ’pataphysique, l’ordre est une solution imaginaire.

Gestes & Opinions de quelques Pataphysiciens illustres, Emmanuel Peillet, Jean-Hugues Sainmont, Latis, etc. de Ruy Launoir, L’Hexaèdre, 396 pages, 30 et L’Ordre de M. Le P., L’Hexaèdre, 63 pages, 13

Le gardien de la chandelle verte Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°91 , mars 2008.