Vingt-trois poètes et Reverdy vivants
Pierre Reverdy, mort en 1960 à l’abbaye de Solesmes (Sarthe) où il s’était retiré avec sa femme dès 1926, appartient-il à un autre temps ? On pourrait en effet penser que son ascèse, autant existentielle que d’emblée inscrite dans une écriture minimale, doublée d’une éthique à l’intransigeance parfois protestante, son « cubisme », comme on a dit, sa crise religieuse, l’écartent des préoccupations poétiques d’aujourd’hui. Ce volume de Triages montre tout le contraire : après une belle introduction d’Antoine Emaz et une anthologie de notes du fondateur de la revue Nord-Sud (1917), une vingtaine de poètes en clarifient leur rapport.
La justesse tient à ce qu’aucun ne tombe dans une approche subjective, mais offre une écoute nouvelle, qui ouvre un pan critique intensif à cette œuvre. Pensons ici au « Parti pris de vivre » que défend Jacques Ancet lorsqu’il écrit de celui-ci qu’il « permet d’échapper aux mirages d’une auto-référencialité du poème que Reverdy a été l’un des premiers à promouvoir et dont certains, encore aujourd’hui, ne sont pas encore sortis ». Le roman à clés, aux vers prosés, Le Voleur de Talan (1917) ou la précision typographique qui élabore La Lucarne ovale ne suffisent pas à en faire un poète de la forme. C’est plutôt l’écart entre langue et réel qui dynamise l’écriture et affecte sa forme, crée le rapport qui va la transformer en un espace fait de murs, de fenêtres, de routes noires, de silhouettes maigres les traversant. « Reverdy 2007 Revisited » de Jean-Patrice Courtois rappelle que l’attention que portait Reverdy à une « typographie très spécifique » est « comme le biais par lequel le réel arrive jusqu’à nous ». Il envisage alors comment la torsion, opération rarement visitée chez Reverdy qui ne semblerait qu’être un poète de la perception directe, construit la poétique singulière d’une pensée en note ; ou encore comment le poème, ne pensant pas (chez lui), « est une pure et simple capacité à montrer tout en faisant disparaître ». Pierre Chappuis parle, lui, très justement du « rien, mais comme moteur », là où l’« Antiportrait » que propose « l’autobiographe des autres » Yves Charnet, à partir d’une photo célèbre de Reverdy, clope au bec, à la Carné ou Becker, en « inconsolé », en asocial, est aussi une part éclairante de son œuvre et de son éthique. À la demande de renseignements d’un éditeur, Reverdy répondit par ce mot célèbre : « Né le… / Mort le… / Il n’y a pas d’événements / Il n’y a pas de dates / Il n’y a rien / C’est merveilleux ». Tandis, pouvait-il ajouter, qu’écrire consiste à vivre détouré « sur fond sombre de silence ». Cette fermeté exemplaire nous offre une véritable leçon d’endurance.
Triages (N° spécial) Vingt-trois poètes et Reverdy vivants
Textes réunis et présentés par Antoine Emaz - Tarabuste,
140 pages, 23 € (rue du Fort 36170 Saint-Benoît-du-Sault)