L’Amour vache rassemble huit nouvelles reliées entre elles par le motif de l’adolescence en crise. De ce motif, Rachel Corenblit tire de nombreux fils, saisissant comme sur le vif, des instantanés de la vie de jeunes adolescents. L’auteur détaille leurs multiples vulnérabilités, leur ressenti sans omettre les réactions des parents face à leur enfant en souffrance. Les mères sont particulièrement exposées : maladroitement protectrices, toutes puissantes ou défaillantes. Quant aux pères (mourant, absent…), ils sont occultés par la forte présence des génitrices au cœur de la tourmente.
D’une thématique maintes fois explorée en littérature jeunesse (le mal-être des adolescents), l’auteur en retire un objet littéraire qui puise son originalité dans une écriture limpide au service de textes elliptiques qui impulsent de la densité aux récits.
La forme courte de la nouvelle agit dès lors comme un grossissement soulignant, d’un trait exagéré et néanmoins juste, l’état émotionnel intense des personnages mis en scène à un instant T de leur vie. Il émane de chacun de ces « flashes » un sentiment qui tout à la fois protège et enferme. Ce sentiment d’ambivalence est perpétuellement présent comme dans cet épisode qu’un adolescent hémiplégique raconte. Il se souvient d’une confrontation entre la directrice et sa mère défendant le passage de son fils au CP : « Mon fils est intelligent, ce n’est pas un débile. (…) Même s’il est maladroit et tout coincé dans son corps, mon fils est capable. » L’adolescent, lui, a saisi une autre vérité : « C’est qu’elle ne croyait pas vraiment ce qu’elle disait ma mère. (…) Mais la directrice (…) lui donnait envie de cracher. De s’arc-bouter. » Les protagonistes se retrouvent souvent dans des situations de souffrance extrême, provoquant un sentiment de malaise qui atteint parfois le lecteur par le truchement du « je » intime de chacun des narrateurs. Le lecteur est ainsi maintenu à proximité dans des scènes quelquefois difficilement soutenables (lire le terrible face à face d’une jeune adolescente victime de troubles obsessionnels du comportement - TOC - et sa mère dans « La salle d’eau »).
L’Amour vache rassemble des récits à corps perdus, des fantômes, des formes, des vertiges qui ne cessent de mener vers un mouvement tournant à vide. Les corps sont imprégnés de sentiments physiques et psychologiques mêlant la joie et la souffrance. Le corps est comme divisé, diffracté. L’adolescence apparaît alors comme le siège de l’hystérie, charriant son lot de brutalité, d’expressionnisme sauvage et aussi révélatrice des secrets de famille (les morts, les viols). La violence, partout présente, est portée par une émotion qui ne cesse de s’ériger. Et Rachel Corenblit de malaxer le tout jusqu’au corps à corps.
L’auteur accentue les contours de ses personnages y incluant parfois une béance remarquable, la bouche, siège de la métamorphose par excellence (par exemple les insultes ou les cris laissent place à des mots d’amour, ou encore les premiers baisers…). Les visages sont imprécis et les personnages sont tels des blocs bruts ouverts à de multiples interprétations. Ces « sculptures » invisibles se confrontent dans un même espace littéraire où la pénombre ou encore la nuit l’emportent sur la lumière renforçant l’effacement de repères possibles. Tous les personnages semblent se maintenir entre chien et loup, dans un état transitoire (les adolescents, un père mourant, une mère déprimée, un père violeur en sursis…). Rachel Corenblit vérifie dans son deuxième livre ce mouvement et photographie les strates d’une métamorphose, en offrant un contrat moral au lecteur : elle délaisse le jugement afin que l’écriture demeure.
L’Amour vache
Rachel Corenblit
Le Rouergue
« DoAdo »
123 pages, 7,50 €
Jeunesse Corps à corps
avril 2008 | Le Matricule des Anges n°92
| par
Malika Person
Dans son deuxième livre, Rachel Corenblit relate des moments remuants dans la vie d’adolescents fascinants et terrifiants.
Un livre
Corps à corps
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°92
, avril 2008.