Dans un coin perdu de l’Ohio, des femmes dirigées par une certaine Jane Dark ont mis au point un programme visant à condamner les hommes à l’immobilité et au silence. Jane Marcus, la mère de Ben va appliquer ce programme sur son propre fils. L’objectif consiste à l’amener à ne plus ressentir aucun sentiment.
Les techniques utilisées sont aberrantes : régime alimentaire, purge du langage, syncopes… Le père ne sera pas épargné. Ce qui ne l’empêche pas de traiter son fils de moins que rien : « le genre de personne qui ne saura qu’échouer sous vos yeux, se flétrir, même arrosé par vos soins ».
Encore une histoire de famille déployant toutes les allusions psychanalytiques habituelles du domaine. Le tout agrémenté d’une profusion d’effets de style comme s’ils étaient issus d’un logiciel spécialisé. Mais paradoxalement, l’écriture de Ben Marcus, né à Chicago en 1967, malgré ces travers pour le moins irritants, opère rapidement une étrange séduction. Le contexte totalement déjanté sert de support à Ben Marcus pour jongler avec les concepts et les mots. Leur sens n’est jamais évident et doit être recherché à l’envers exact de l’absurdité et du décalage qu’ils traduisent. Le ton déshumanisé et souvent cynique masque une réelle sensibilité, l’obsession pour le silence un enthousiasme sincère pour la langue, la paralysie imposée aux esprits et aux corps le rejet d’un monde de plus en plus ankylosé, et les nombreuses métaphores du corps et de la nourriture, l’impact physiologique de la voix et des mots. Et cachée au plus profond de cette atmosphère très sombre, se décèle une timide résistance telle une fragile lueur d’humanité.
« Le visage est il plus important que nous ne l’avions pensé ? » Se laisser prendre au jeu pour découvrir que ce texte inclassable s’avère finalement être un peu plus qu’un exercice de style.
Le Silence selon Jane Dark
Ben Marcus
Traduit de l’américain par Claro
10/18, 284 p., 7,90 €
Poches Le silence selon Jane Dark
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Yves Le Gall
Un livre
Le silence selon Jane Dark
Par
Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.