La Barque N°5
Fondée par Olivier Gallon et Laurent Pinon en 2006, La Barque publie au rythme de croisière de deux numéros par an. Sous une couverture gris anthracite, la revue se veut petit et frêle transport de textes poétiques. Elle offre une place à la traduction (Robert Walser dans son numéro précédent), n’ignore pas une approche libre du cinéma, voire des journaux ou articles critiques de cinéastes eux-mêmes, comme ceux de João César Monteiro. Avec ce nouveau volume, La Barque gagne en intensité. Celui-ci s’ouvre par les premières traductions (bilingues systématiquement pour les poèmes) de l’Australienne Amanda Stewart qui, en plasticienne, propose aussi un travail de photocopie de textes floutés, enveloppés de marges blanches et noires. Les poèmes ici traduits oscillent entre bouts de mémoires arrachées à la perdition et notes politiques sur l’état du monde.
Volontiers répétitifs, les vers ne cherchent pas à faire sens, telle cette suite intitulée « Énergie est matière » : « L’atome était. La grande étendue de l’ouest./ L’atome était et était./ Vu sous la forme de cellules et d’étoiles./ Énergie = Masse fois vitesse de la lumière au carré,/ Et ça, c’est facile à dire ». Un cd, entremêlant la voix d’Amanda Stewart et les improvisations du saxophoniste Jean-Luc Guionnet, enregistré au centre chorégraphique de Montpellier, donne à entendre un autre pan de son travail. Suit un choix de textes inédits d’Huguette Champroux (1931-2003), dont ce poème, presque réflecteur du travail de l’écriture : « Mais à sa place (hop) ruisselant/ Lundi entre l’écriture Rouge et là/ Mardi ne passerait pas une épingle/ à cheveux, non, entre les deux corps de ce/ rêve, ou enfin, le lude/ va basculer ». Autre belle série, en plus de la Suite monochrome dans laquelle Jacques Sicard éclaire d’une page un film choisi (de La Dame de tout le monde de Max Ophüls à Mon oncle de Jacques Tati en passant par le magnifique Mes petites amoureuses de Jean Eustache), celle des poèmes d’Arseni Tarkovski (1907-1989), traduits par Christian Mouze. « L’aveugle » est modèle d’une sobriété narrative, dans laquelle apparaissent de soudaines ellipses quasi photographiques. Grand traducteur de poètes arméniens et arabes, Tarkovski s’inscrit dans l’héritage de la modernité russe de l’après-guerre. On est saisi par ce : « Boîte d’os articulée,/ Le poignet craque…/ La main de l’aveugle, elle, est vivante,/ Regarde, elle vibre à peine,/ Comme une algue sombre/ Elle suit les fibres des moindres ondes. »
La Barque N°5 150 pages, 15 € (51, rue Faubourg du Temple 75010 Paris)