L’éditeur a mis les bouchées doubles : dans leur large et horizontal format d’origine (41x27 cm), voici 43 pages parues, entre 1904 et 1905, dans le New York Herald. Des planches vrrrraiment reproduites : ainsi, sur la page verso des épisodes de Little Sammy Sneeze de Winsor McCay, on trouve, comme dans le supplément dominical d’alors, diverses séries, conçues par McCay ou par d’autres ; ainsi une « restauration digitale » est-elle censée, jusque dans les imperfections d’impression, ressusciter la feuille de chou princeps.
Luxueuse lubie ? Pas si on y regarde de près. L’exposition complète des « planches du dimanche » avertit du niveau moyen de l’illustration de presse au début du XXe siècle : un niveau pas du tout moyen au regard de nos pauvres journaux, en témoignent Les Monstricules de l’obscur et talentueux John Prentiss Benson, animaux fantastiques accompagnés, dans le sillage de Lewis Carroll, de leurs quatrains rimés. Ensuite, nul besoin de se confire en collectionnite pour apprécier le McCay vintage. Sa grande œuvre est encore à venir : l’onirique Little Nemo in Slumberland paraîtra de 1905 à 1911, toujours dans le Herald, et l’on ne sait pas encore qu’il est l’un des tout premiers génies de la bande dessinée et de l’animation. Mais ce qu’il conçoit tient déjà du prodige.
Voir d’abord Le Petit Sammy éternue, qui prête son titre au recueil. Six cases également remplies : au cœur d’un univers ordonné (grand magasin, promenade en barque, parade de cirque), Sammy sent monter l’éternuement. Son visage se déforme, les bulles indiquent quelque chose comme um…îîî…ah (Sammy ne dit rien d’autre, jamais). Et puis vient le choum, paroxysme explosif de la cinquième case : les marchandises s’écroulent, ou la barque chavire, ou les éléphants s’effraient, avant qu’on n’expulse Sammy du chaos qu’il a engendré. Dans ce pauvre garçon à l’air demeuré, pur objet broyé par une mécanique immuable, difficile d’entendre l’écho des déflagrations anarchistes du temps ; difficile aussi de croire au gag, étant donné le caractère de répétition, maintenu jusqu’au malaise. L’un des préfaciers parle à juste titre de « poésie obsessionnelle » : on n’oubliera pas non plus que l’époque est celle du cinématographe naissant, que fascine le mouvement du faciès - comme dans L’Éternuement de Fred Ott, (très) court métrage produit par Edison en 1894.
Ce sont là enjeux très formels, peut-être. Pas seulement : car la rengaine stylisée sait ailleurs se creuser de progression et de réalisme. Dans le premier chapitre d’Henrietta la goulue, les adultes s’agitent jusqu’au délire pour qu’Henrietta sourie au photographe, jusqu’à effrayer le nourrisson, délaissé pour la dernière image où elle tête son biberon dans un silence mouillé de larmes. Planche vingt-sept, Henrietta a maintenant 6 ans : on la voit engloutir en cachette le contenu de trois paniers de pique-nique, puis dormir repue sous un arbre, comme morte. Une case muette encore, comme toutes celles qui, fantomatiques, clôturent les chapitres successifs de cette si troublante genèse d’un cas clinique.
Le Petit Sammy éternue de Winsor
McCay - Delcourt, 96 pages, 49,90 €
Textes & images Mystères du strip
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Gilles Magniont
Les enfants de Winsor McCay renaissent : morveux ou boulimiques, toujours sans voix.
Un livre
Mystères du strip
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°99
, janvier 2009.