André Fraigneau (1905-1991) fut un personnage ambigu ; membre satellitaire du petit milieu littéraire parisien, frère spirituel de Robert de Montesquiou avec qui il partageait un certain dandysme et le goût des hommes, fidèle à ses amitiés même lorsque celles-ci le mirent au ban de la société intellectuelle (lui fut reprochée, entre autres, sa sympathie marquée à l’endroit de Goebbels, romancier avant de devenir le ministre que l’on sait), il fut également auteur, éditeur et conseiller littéraire auprès de diverses maisons - Grasset en particulier. Celui que l’on connaît pour avoir été l’impossible amour de Marguerite Yourcenar livre ici le répertoire de ses admirations artistiques, sous forme de courtes chroniques qui parurent entre 1938 et 1979 dans plusieurs revues - citons Accents graves ou La Revue des deux mondes. Il y évoque aussi bien ses « amis écrits » qui, à l’instar du narrateur du Diable au corps, mettent en branle un puissant mécanisme d’identité, que d’autres plus incarnés, qui marchèrent à son côté souvent une vie durant : Christian Bérard et la joyeuse bande de l’Hôtel de la rue Nollet, Anna de Noailles, Morand, et surtout Cocteau, admiré pour la « vérité fondamentale » de son œuvre, ici représenté en pleine fabrication d’Opéra.
Figure de la littérature « dégagée », proche des Hussards anti-existentialistes conduits par Nimier, Fraigneau nagea parfois en eaux troubles ; son émotion devant la critique positive que lui offrit Brasillach dans les colonnes de l’Action française fait légèrement frissonner. Ses penchants idéologiques - dont il n’est qu’à peine question dans l’ouvrage - en troubleront plus d’un ; ils n’interdisent cependant pas de lire avec intérêt ce panorama très personnel des arts et des lettres de l’après-guerre, dont la texture stylistique, un peu surannée, possède une saveur certaine (sa définition de l’esprit classique opposé à l’esprit romantique est un vrai petit bijou kitsch aux émouvants reflets lagarde-et-michardiens). Une projection de diapositives littéraires, en somme, alimentée par une sensibilité esthétique de qualité, mondaine et érudite.
En bonne compagnie
d’André Fraigneau
Le Dilettante, 189 pages, 17 €
Histoire littéraire En bonne compagnie
avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102
| par
Camille Decisier
Un livre
En bonne compagnie
Par
Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°102
, avril 2009.