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Poésie La chanson de Cliff

avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102 | par Richard Blin

Écrivant ce qu’il vit ou se souvenant, c’est toujours à hauteur d’homme que William Cliff tente de faire coïncider l’être et la lettre.

Autobiographie (suivi de) Conrad Detrez

Solitaire par vocation, William Cliff a fait de sa vie la matière de sa poésie. Sans détour et sans masque, il en révèle les heures noires et blanches, les hasards et les vicissitudes, les beautés de plage à marée basse et les fantômes qui la hantent. Une vie ressaisie dans ses faits et gestes, dans les reliefs qui en disent la vérité, mais mise à distance par le choix de formes poétiques fixes, et par la volonté de s’inscrire dans la tradition - revisitée - d’une versification régulière, d’une métrique qu’il plie au rythme de son blues, de ses élans ou de ses souvenirs.
C’est ainsi qu’Autobiographie aujourd’hui réédité (La Différence, 1993) raconte, en cent sonnets, sa vie depuis sa naissance, en 1940, à Gembloux, en Belgique, jusqu’à ses 31 ans. L’enfance au sein d’une nombreuse fratrie, un père dentiste, médecin, hautain et méprisant ; les coups, les punitions, le plaisir de faire ce qui était interdit. L’adolescence, qui débute au moment où l’innocence expire « sur le bord d’une chaise / en pleine étude et sous le nez d’un abbé qui dormait ». La pension chez les Frères, le sentiment d’être incompris, la découverte de la littérature à travers Chateaubriand racontant son enfance à Combourg, sa peur bleue de son père. « J’appris par ce récit n’être plus tout seul à souffrir / ce fut comme un voile levé sur mon âme sauvage / écrire alors devint pour moi le geste qui relie ». La jeunesse ensuite, l’ennui car être « jeune c’est aussi être esclave / d’une nuée d’idées reçues par manque de distance » ; l’homosexualité - « je savais appartenir / à la race à part et blâmable des « damnés » » - ; les piètres études qui n’en finissent pas, la découverte de Barcelone, de la « nuit bruyante et empoussiérée verges bandantes / et ce désir de vouloir plus que le plaisir ! ». Le bonheur fuyant, l’âme qui se fait pluvieuse, les maléfices du désir, Cliff les fait sonner au fil d’une narrativité fortement dramatisée et littéralement revivifiée par la musique oubliée d’une oralité fleurant bon le légendaire.
Une vie errante et le rêve d’une existence en quête de son ciel de gloire.
Il en est de même avec Conrad Detrez (Le Dilettante, 1990) qui chante la mémoire de ce fils de boucher, né en 1937, tenté d’abord par la mysticité et qui, « après deux ans de crâne tonsuré / et poussé par les envies du pistil », prendra la mer, s’exilera au Brésil où il se dédiera autant à « la cause des pauvres » qu’à la force mâle des beaux corps, avant d’être obligé de fuir le pays pour se réfugier, avec ses guerrilleros, à Montevideo, jusqu’où ira Cliff comme en pèlerinage. En cent dizains de dix pieds, c’est son amitié avec l’auteur de L’Herbe à brûler (prix Renaudot 1987), mort du sida en 1985, que William Cliff célèbre, en une longue ballade où le tragique le dispute souvent à l’idéalisation.
Ce désir d’être vrai, qui est sa seule morale, William Cliff le décline encore dans Épopées. On y retrouve un être toujours en équilibre entre deux voyages, deux souvenirs, deux chaises. Un homme qui sait profondes et violentes ses émotions, s’en atterre parfois, quête sous l’écorce des gestes la vérité des êtres. Un homme ivre de cette liberté insoucieuse de son but, aimantée seulement par le plaisir simple d’être en vie. Alors, malgré le temps qui pousse et ronge, Cliff dit sa joie à marcher « n’ayant pour tout bagage qu’un sandwich / où l’on mordra sur le coup de midi », à parcourir les lieux où vécurent des auteurs aimés, comme Rousseau ou Wordsworth. Il évoque ses voyages - Philadelphie, l’Amérique, Gorée -, sa nostalgie du temps d’avant. « Ah ! que n’ai-je / encore les cuisses que j’avais alors ! / ces fesses cette queue ces belles lèvres / quand je pestais contre le mauvais sort ». Ne cachant rien de l’inquiétude passionnée des sens, il dit la recherche de la satisfaction sexuelle, les « transes dégradantes « . » Frères de désespoir vous qui riez / en levant vos verres de bière dites / (…) pourquoi vouer ainsi tous vos loisirs / à vous chercher vous prendre vous étreindre ? »
Il y a du panache et du défi dans cette forme de souveraineté qui consiste à profiter des plaisirs des sens. L’épique du titre trouve dans cette vie errante et dans le rêve d’une existence en quête de son ciel de gloire, sa justification. « J’aurais voulu comme les chevaliers / couverts de fer parcourir à cheval / les contrées sans culture grandes landes / où le pas de la bête est amorti par l’herbe… ». Dans l’acceptation aussi d’une vie finalement ordinaire dont l’évocation fait monter pourtant « je ne sais quoi qui reste entre les dents / par le travers des syllabes » comptées. Quelque chose comme l’aura poétique de l’humble, de l’envers du décor, d’une solitude aérée, superbe de lucidité rageuse et de gravité sereine.

William Cliff Autobiographie suivi de Conrad Detrez La Table ronde, « La Petite Vermillon », 224 pages, 8,50 et Épopées, La Table ronde, 176 pages, 17

La chanson de Cliff Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°102 , avril 2009.
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