Femme sans fard, foncièrement sensitive et ouverte à l’infinie complicité de la lumière et de l’ombre, du désir et de ses racines animales, la locutrice de La Femme lit empale ses vertiges au silence imagé des miroirs. Elle roule ses rêves en la haute lavande de son lit, confie la barque de ses mots à la force très intime des courants somptuaires du plaisir se frayant une voie royale jusqu’à la roue de gloire de la chair en sa haute promotion adorante.
En marge des conventions et des convenances communes, les poèmes de Sophie Loizeau dans La Nue-bête et Environs du bouc (repris dans Bergamonstres (L’Act mem, 2008) apparaissaient comme accordés à cette part sensible du monde immémorial et mythique, dont la forêt sombre et sauvage est l’emblème. Monde du grand Pan, de l’expérience immédiate et de cette forme d’inconnaissable dont les bêtes, les rêves et les mythes nous parlent encore un peu. Monde d’odeurs et de nuit, d’émotions fondamentales et d’imminence en suspens, d’appel des sens et de joies primordiales, que nous retrouvons dans La Femme lit, avec une diane, sans majuscule mais frissonnante de vérité nue : « dépiaute sa robe ouvre bien sur la peau des cuisses, / venant d’elle ce dénuement / renifle d’abord où viendra battre ta langue dans la mouille-colle et la pisse / diane en crève frotte son sexe avec de la menthe ».
Une langue aussi ensauvagée que féminisée.
La chaleur du trouble, l’impatience du désir de voir et de toucher, les dérives affamées de la solitude nue trouvent, dans des lieux élus, le cadre où ils pourront cristalliser en poèmes qui sont invites à pénétrer - « verbe que jamais je ne comprends sans profondément qu’il me trouble » - dans ce continent noir qui n’appartient qu’aux femmes.
Contrairement à Diane dont le corps était invisible, le corps ici se montre et s’approche. Odorant, flatté, baigné, contemplé jusqu’en sa jouissance - une jouissance qui semble obéir à des lois aussi mouvantes et implacables que celles de la nature -, il est aussi le lieu de la révélation de « l’instase », l’envers en miroir de l’extase, un état relevant de la pure essence d’un mixte « d’hypnose et d’émerveillement ». Un enchantement intérieur, une immersion dans le bonheur de « paître en soi-même / réceptive et malléable / à soi tournée / vers sa propre abondance ». Le lit, le livre, le sommeil, leur chevauchement font de la femme lit « une femme dé-déifiée » dont le seul pouvoir réside en ses joies, en « la faculté vraiment magique d’en jouir ». Comme en lisant Henri Bosco. Il « m’a enchanté à lui à sa êtraie « . »Je me gorge. puis je. transfère. je tombe amoureuse // à me dénuder à croire qu’il me regarde // de l’au-delà puisqu’il est mort pour lui que j’ondule entre les draps / que je montre mes seins / me rendent folle ses façons d’étreinte oblique ses frottements / de toute l’âme / la nature chez lui grande / sauvage supplée au manque d’organe ».
C’est qu’elle a l’éros luxueux, Sophie Loizeau (qui a dirigé le numéro spécial de la revue Passages à l’act (vol. 5/6, octobre 2008) consacré à Pascal Quignard). Jeux d’insinuation, nudité déployée en bruissements d’aube, c’est le velours exalté d’une langue aussi ensauvagée que féminisée qu’elle donne à toucher. Pratiquant une nouvelle grammaire des accords - une façon de « récupérer ce qui a sombré dans le grand tout masculin » - elle accorde au féminin l’adjectif des noms être, sexe, corps, désir, s’ils sont ceux d’une femme. D’où « mon désir sexuelle » ou « le corps merveilleuse ». Écriture en équilibre sur le bord de la fascination sexuelle, et cheminant autour de l’énigme éblouie de cette forme d’amour-sortilège où la grâce et la nature ne s’opposent pas mais concertent.
La Femme lit de Sophie Loizeau
Flammarion, 104 pages, 15 €
Poésie Le mythe de soi
avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102
| par
Richard Blin
Au lit, au livre, au bain, la femme jouit, s’impressionne et s’étreint. Nouveau recueil de Sophie Loizeau.
Un livre
Le mythe de soi
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°102
, avril 2009.