À l’instar du hobo Seastick Steve qui cartonnait il y a deux ans avec un premier disque produit à l’âge vénérable de 70 ans, Michel Rullier publie un premier livre qui va se remarquer. Plusieurs raisons à cela : de l’impressionnante façon des textes à la richesse de l’imagination qui s’y développe, on tient là deux arguments majeurs, pour ne pas dire massue, qui va maintenir son recueil de « contes » fantastiques, puisqu’il s’agit de cela, ou de nouvelles, sous les feux de la rampe. Il est rare en effet de lire des écrits contemporains aussi soigneusement classiques et aussi terriblement efficaces. Double argument supplémentaire : de nature essentiellement rurale, les dix-huit écrits enclos dans Peuchâtre et Gésirac - ce titre lui-même sonne étonnamment - sont tout droit issus des terres de la Saintonge. Résumons-nous : ressort fantastique (ogres et loups compris), assise locale, style impeccable, il n’en faut plus beaucoup pour songer à Jean Giono (son Roi sans divertissement bien sûr) ou à Claude Seignolle dont les loups fréquentent plutôt la Sologne…
Si Michel Rullier n’est pas le véritable nom de l’auteur, il n’est pas inutile de préciser que c’est un universitaire qui se cache derrière lui. On comprendra qu’un retoquage ancien, énoncé sans doute avec légèreté par l’éditeur Gilbert Sigaux (1918-1982) dans les années soixante, avait refroidi les ardeurs d’un jeune homme pressé de forger son existence et qui choisit les voies ethnographiques plutôt que littéraires. Ici les faits avérés, là les fictions à base de folklore populaire. Mais lorsqu’on aborde les territoires de l’ombre, n’est-on pas justement entre les deux ? Explications.
Pourquoi avez-vous choisi d’entrer en fiction ?
Je n’ai rien « choisi ». Je me suis toujours senti écrivain de tempérament, tout en devant me consacrer à l’enseignement. Ici, je peux ajouter cette précision, que cette « obligation », je la ressentais du fait de la mentalité de mes parents ; une carrière purement littéraire aurait été trop aléatoire pour leur paix intérieure. Or donc, créer, c’était un besoin vital, très proche du sexuel, d’ailleurs, et je n’y ai jamais renoncé ; mais dans ces conditions, bien qu’ayant commencé deux ou trois autres choses, je n’ai pu mener à bien que des écrits de forme courte : une nouvelle, quelques poèmes et les contes ; ces derniers finissant par former un corpus relativement développé, je les ai, à l’époque, proposés au jugement d’un éditeur, pensant, à travers eux, commencer à me « lancer » et à me libérer des tâches, bien peu épanouissantes pour moi, du lycée. Il m’a alors été répondu que, tant que je n’aurais pas de roman à publier, rien ne serait possible. C’est pourquoi la récente évolution des choses - entremise de Jonas Lenn, qui se trouve être le mari d’une étudiante et amie, puis accord de M. Gindre (éditeur de La Clef d’argent, ndlr) - a été une miraculeuse surprise, dont je suis infiniment reconnaissant à ces deux personnes, même s’il est...
Entretiens De l’inattendu et de l’avéré
avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102
| par
Éric Dussert
Jeune auteur de 70 ans, Michel Rullier publie d’impressionnants « contes » fantastiques rassemblés dans Peuchâtre et Gésirac. Tous les sens y sont mis à rude épreuve.
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