Dieu rend visite à Newton (1727)
Dieu, las de « son être de lumière et de silence », un peu nauséeux à force d’éternité, rend un soir visite à Newton. Tout laisse présager une bonne petite soirée entre amis au coin de la cheminée. Mais voilà que le serviteur, portant plateau d’argent et livrée rouge, s’élève doucement vers le plafond. Sa tête heurte une poutre et il se met à parler, bien qu’il soit muet. Le thé de minuit et les tasses, la marmelade et les amandes, ainsi que le précieux bocal plein d’un authentique silence de Swedenborg, entrent eux aussi en lévitation. Car « Dieu est dans la chambre, et l’infirmité de Dieu est le miracle », qui le rend bien incapable de résister à ses pulsions de métamorphose. Outré, consterné, puis fair-play devant cette remise en cause criante de sa théorie de la gravitation universelle, Newton tire son épingle du jeu en proposant à Dieu de le faire homme ; ainsi pourra-t-il enfin appréhender le temps « non comme une terreur, mais comme une loi » - distinction perceptive qui serait, peut-on en déduire, le point cardinal de la condition humaine. L’ayant revêtu de sa nouvelle apparence, Newton fait baptiser Dieu par un prêtre ivre mort, avant de le soumettre aux épreuves initiatiques qui achèveront de lui donner forme mortelle : la peur, l’humiliation, la douleur, l’impossibilité de l’amour et du bien. Puis Newton meurt ; et ce n’est qu’en lestant de lourdes chaînes sa dépouille aérienne que l’on pourra refermer le cercueil, tandis que Dieu, simple marin, se met à marcher vers la mer…
Durant les cinq années qui précédèrent son suicide, en 1954, Stig Dagerman se mura dans une sorte d’aphasie littéraire. Dieu rend visite à Newton fait exception à ce silence : c’est en effet l’unique, et donc ultime, projet d’écriture que Dagerman put mener à son terme avant de s’enfermer dans sa voiture, moteur allumé et portières closes. Inconsolé. Sans doute inconsolable. L’accompagnement plastique en regard du texte (dessins de Mélanie Delattre-Vogt) offre à cette réédition, la première depuis 1976, une interprétation puissante, et inquiétante.
DIEU REND VISITE
À NEWTON (1727)
de STIG DAGERMAN
Traduit du suédois par C.G. Bjurström, Éditions du chemin de fer, 62 pages, 14 €