L’offensive aurait bien pu faire long feu : le premier numéro de La Nouvelle Revue Française, daté du 15 novembre 1908, sera en effet suivi, curieusement, d’un autre numéro 1 - du 1er février 1909 celui-ci ! Quelle fée maligne ou quelle sorcière macbéthienne a donc veillé sur cette naissance ? Par la suite le navire (cuirassé ?) rencontrera nombre de tempêtes : la revue s’interrompra ainsi de 1914 à 1919, puis semblera s’engloutir définitivement en 1943, après avoir navigué - sous pavillon noir ? - pendant l’Occupation. Il faudra attendre 1953 pour que La Nouvelle Nouvelle Revue Française (le bégaiement du titre, dysharmonique, révèle les efforts qu’il a fallu pour faire renaître cette déjà vieille dame) reprenne sa place - et poursuive son chemin jusqu’aujourd’hui.
Alban Cerisier, avec aisance et légèreté, maîtrisant totalement les tours et détours de ce périple odysséen, fête ce centenaire, raconte ce siècle. Il s’agit bien en effet, le titre l’indique, d’un récit, d’une histoire : aucun appareil universitaire, aucune bibliographie, aucune note en bas de page ne vient ralentir l’évocation, pleine d’allant. Cela pourrait surprendre, étant donné la révérence (le bataillon de références donc) qu’un tel sujet aurait semblé exiger. Les plus curieux des lecteurs pourront toujours se reporter (nous le leur conseillons) aux ouvrages bien plus touffus d’Auguste Anglès, de Pierre Hebey…
C’est donc à un roman que nous avons affaire : si le lieu ne varie guère (hormis quelques excursus/excursions à Pontigny ou sur la Côte d’Azur, le périmètre est limité à quelques rues de Saint-Germain-des-Prés), les personnages sont nombreux et l’intrigue complexe, à rebondissements multiples. De grandes figures (et hautes en couleur) dominent : Gide, bien sûr, mais aussi les deux principaux directeurs, qui se succéderont, Rivière et Paulhan. Au second rang (pour ce qui est des combats de La NRF, et non quant à leur importance littéraire, bien entendu) : Claudel, Valéry, puis Proust, Malraux, Queneau… Nous assistons aux divergences, aux luttes, aux rivalités qui opposent les uns aux autres : elles ont toujours, sauf exceptions rares, des mobiles intellectuels, esthétiques. Quelle place réserver aux problématiques politiques - le nationalisme, le communisme - dès lors que l’Histoire pèse de plus en plus ? Comment « récupérer » Proust après l’erreur initiale, comment « conserver » Claudel, Saint-John Perse ? Quelle place faire aux trublions (génies ou charlatans ?) que sont les surréalistes ou Artaud ? La revue a toujours voulu mêler, selon des modalités et des proportions variables cependant, la part réservée à la critique et la part réservée à la création (le plus souvent d’œuvres qui allaient, peu après, être publiées par Gallimard - mais pas uniquement). Ce sont ces contributions critiques (que l’on a peut-être davantage oubliées) que nous offre la judicieuse anthologie de Louis Chevaillier, permettant d’apprécier « la pluralité des regards » qui fit la richesse de la revue (*). Gide, par exemple, loue « le parfait lyrisme par la simple présentation et la juxtaposition des objets » dans les Poèmes par un riche amateur de Larbaud (en 1909) et Millet salue (en 1984) les Vies minuscules de Michon, « infimes, dérobées avec une ferveur patiente à l’effacement, à l’indignité ou au silence »… De Ramon Fernandez découvrant Lord Jim (en 1923) à Éric Faye présentant La Vie nouvelle d’Orhan Pamuk (en 1999), la preuve est faite, si besoin était, que La NRF sut, comme l’annonçait Schlumberger dans ses Considérations inaugurales, « entourer d’une atmosphère d’admiration et d’intelligence » la littérature - pour qu’elle vive !
Une histoire de La NRF d’Alban Cerisier, Gallimard, 614 pages, 25 € et L’Œil de La NRF Choix de textes et présentation par Louis Chevaillier, Folio, 351 pages, 7 €
* Signalons aussi la réédition en fac-similés des deux N°1 successifs et le beau catalogue de l’expo de la fondation Bodmer En toutes lettres.
Histoire littéraire L’âge d’or
mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103
| par
Thierry Cecille
Cent ans après, les voix de La NRF, loin de ne nous offrir qu’un concert funèbre, résonnent encore d’intelligence et de foi en la littérature.
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L’âge d’or
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°103
, mai 2009.