Olivier Estoppey vit dans la partie francophone de la Suisse, à l’entrée des montagnes ; depuis 1980, il pose le plus souvent ses sculptures à l’air libre, sur une pente de terrain, au bord d’un canal, en bordure d’un bâtiment. Qui dit « lisière » ne dit pourtant pas discrétion, car les installations sidèrent d’abord par leur abord monumental : ainsi, pour Dies Ira, ces 170 oies de béton, troupeau que poursuivent trois tambours de 3m40, et du même métal. Si la collection des « Cahiers dessinés » consacre aujourd’hui une monographie à leur concepteur, c’est que celui-ci commence toujours par des dessins. Pour sa première exposition, il avait noirci des portes à la mine de crayon - « La question était : » par où tu commences ? « , alors j’ai noirci, noirci » -, avant d’aller chercher quelque chose sous ces profondeurs sombres : « Tu la travailles comme un cadavre pour chercher ce que cache le noir, avec ma gomme, je sens physiquement que quelque chose arrive ». Depuis lors, il n’a cessé de faire émerger du papier, au fil d’innombrables esquisses, les figures fantastiques qui viendront s’incarner dans du bois, du plâtre et du béton : objets comme échappés d’une civilisation engloutie, personnages mystérieux, bestiaire de grands rhinocéros ou de troupeaux d’oies. Ce livre juxtapose somptueusement les photographies des sculptures et leurs ébauches crayonnées, parfois reprises en gravure ; au fil des pages, un trouble s’installe dans ce va-et-vient. Une notice de Nicolas Raboud en donne peut-être la raison : « Nous assistons à une forme de retour au dessin primitif, comme si la matière redevenait dessin : le béton projeté rejoint la mine de plomb, des noirs et des gris profonds ». Cette indécision donne une puissance proprement fantastique aux dernières pages : instantanés d’une meute de treize loups de béton, qui sont venus récemment courir sous les arbres squelettiques du Palais-Royal, comme la projection menaçante d’un rêve d’encre.
L’HOMME DES LISIÈRES
Buchet Chastel, 158 pages, 39,50 €
Textes & images L’homme des lisières
juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104
| par
Gilles Magniont
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L’homme des lisières
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°104
, juin 2009.