Eva a quitté le narrateur et il l’a très mal pris. Elle l’a abandonné, après des années de ce qu’il pensait être du bonheur, pour « un marin. Glabre, fuselé, bourru. La quarantaine séduisante. Le cheveu court, comme Judas ». Portrait réel ou fantasmé ? Bref, il imagine leurs étreintes et cela le rend fou. Lecteur fébrile et monomaniaque, seule la littérature le distrait à peu près de cette absence d’Eva. Se met alors en place, sous couvert d’un faux mémoire, où chaque chapitre ouvre une entrée possible sur le personnage, une rêverie, un peu érudite, un peu érotique, assez amusante - quelquefois aussi un peu complaisante, et donc un brin lassante - qui a pour objet Emma Bovary. « Celle que nous contre-aimons, celle que nous aimons d’amour, celle que nous aimons à la folie, maintenant c’est Emma. » Emma, sa peau, ses mains, ses cheveux, ses seins et le reste. Mais également Charles et Emma, Léon et Emma, Rodolphe et Emma, Homais et Emma ; ou, moins attendu, Emma et Pasiphaé ! La figure de madame Bovary et celle Eva se croisent, se confondent parfois, dans une même fureur (et jubilation) descriptives. L’écriture d’Alain Ferry est ornée, parfois aux limites d’une préciosité et d’un lyrisme, qu’on pourrait cependant dire au second degré, car empreints d’autodérision et d’humour.
On suit volontiers Ferry dans sa balade en Flaubertie, on se prend grâce à lui d’une vraie envie de redécouvrir Madame Bovary - et avec lui on s’interroge sur cette héroïne, « si mystérieuse ». Mémoire d’un fou d’Emma est évidemment un hommage aux richesses de la littérature et à son pouvoir de consolation, une déclaration d’amour débridée qui a pris, l’espace d’un livre, les traits harmonieux d’Emma.
MÉMOIRE D’UN FOU D’EMMA
d’ALAIN FERRY
Le Seuil, 266 pages, 21 €
Domaine français Mémoire d’un fou
juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104
| par
Delphine Descaves
Un livre
Mémoire d’un fou
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°104
, juin 2009.